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Ce qui faisait l’importance de ce mouvement littéraire, c’est qu’il répandait dans les diverses classes de la nation serbe la vie politique, concentrée jusque-là dans le clergé. Un semblable réveil se manifestait au commencement de ce siècle chez les autres Slaves de l’empire. Le poète slovaque Kollar publiait en 1827 son fameux poème Slávy Dcera « la Fille de la gloire, » où il célébrait les grandeurs futures de la race slave ; ce poème exerça une grande influence sur la littérature des Slaves autrichiens. Un jeune écrivain croate, Louis Gaj, devenait le réformateur heureux de sa littérature nationale, et sa réforme avait en même temps une importance politique. Il voulait, pour préparer dans l’avenir une union plus effective, réunir dans une même langue littéraire les Slaves de Croatie, de Slavonie, de Hongrie, de Serbie, de Dalmatie et d’Istrie, en un mot les descendans de la même race que l’histoire et la religion ont divisés en Croates et en Serbes, et pour cette unité qu’il rêvait, il ressuscitait le nom d’Ulyrie et d’Illyrien. En même temps, il fondait un journal où il écrivait non plus le dialecte croate, mais le dialecte serbe. Il adoptait une orthographe qui se rattachait à celle de Karadjitch. La différence du serbe et du croate, en tant que langues écrites, n’était plus désormais qu’une différence d’alphabets.

Cette réforme est aujourd’hui universellement adoptée par les écrivains croates, mais ce ne fut pas sans luttes. Elle inspirait surtout de la défiance au clergé. Le clergé catholique de Croatie et de Slavonie craignait que l’emploi du dialecte serbe comme langue littéraire ne cachât des machinations anticatholiques et ne fût destiné à pousser les Croates vers l’église serbe de rite oriental. Le clergé serbe lui-même, conservateur des traditions nationales, les croyait menacées par ce nom d’illyrisme, et la réforme de l’orthographe lui semblait presqu’un sacrilège. Le métropolitain serbe s’était même opposé à ce qu’on introduisît la langue vulgaire dans les écoles. Déjà, en 1833, le prince Miloch de Serbie, gagné par son secrétaire, un des conservateurs de l’ancienne orthographe slavonne, avait interdit l’introduction dans la principauté de livres imprimés dans l’orthographe de Karadjitch ! Plusieurs écrivains serbes accusaient en même temps Gaj et les partisans de l’illyrisme de vouloir convertir les Serbes au catholicisme latin. La réforme de Gaj l’emporta enfin. Cette question, purement grammaticale en apparence, était si bien mêlée aux aspirations nationales, et ce nom d’illyrisme exprimait si bien la revendication d’une nationalité divisée et opprimée, que l’emploi de ce mot inquiéta le gouvernement autrichien. Au commencement de 1843, l’empereur Ferdinand signa un décret qui défendait d’employer les mots Illyrien, illyrisme, Illyrie, etc., « tant dans les feuilles publiques que dans tous les autres ouvrages imprimés, en particulier dans les débats