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refuge. Il crut l’avoir trouvé dans la seule cour que Rome n’était pas encore parvenue à séduire. En moins d’un demi-siècle, Moscou, la ville de bois, se transforme. Elle aura désormais ses forteresses de briques et ses basiliques de pierre. D’illustres bannis lui ont apporté les arts, le luxe, la civilisation de Byzance. L’Allemagne, le Danemark, la Turquie, ont fait partir pour la capitale du grand-duché leurs ambassadeurs ; la Bohême y expédiera bientôt ses ingénieurs militaires ; l’Italie n’a pas attendu ce moment pour y envoyer ses architectes. Le nouvel empire n’en reste pas moins ignoré de la majeure partie de l’Europe. Il grandit à l’écart, pendant que Luther prêche devant l’électeur de Saxe « contre les vices des hommes qui font le commerce des indulgences, » pendant que Gustave Vasa, devenu roi de Suède, introduit la réforme dans ses états, pendant que le grand-maître de l’ordre Teutonique, Albert de Brandebourg, renonce aux statuts de son ordre. L’archevêque de Riga et ses suffragans n’arrêteront pas, malgré tous leurs efforts, le progrès des nouvelles doctrines. De la Prusse ducale, la contagion a gagné Dantzig et Kœnigsberg ; elle s’empare maintenant des domaines du roi de Danemark. Le rite latin demeure, dans le nord, sans appui. Le successeur de Vasili IV s’en trouvera plus à l’aise pour lutter contre la Pologne.

Ce successeur est un enfant de trois ans appelé au trône par la mort subite de son père, mais l’enfant doit mériter un jour et garder à jamais dans l’histoire le surnom d’Ivan le Terrible. Ou terrible, ou cruel, peu importe ; c’est un fondateur. Toutes les forces de l’esprit national se sont tournées vers lui ; il emploiera ce dévoûment aveugle à la façon de Louis XI et de Henri VIII. La Russie moderne n’est pas le seul état qui ait dû sa grandeur à la sauvage rudesse ou à la politique peu scrupuleuse de ses princes ; combien de royaumes au contraire ont péri par les vertus aimables d’un Louis XVI ou par les qualités chevaleresques d’un François Ier ! Ivan IV n’avait pas atteint sa treizième année qu’il éprouvait le besoin de se débarrasser d’une tutelle importune et se jetait brusquement sur les rênes que les boïars s’efforçaient en vain de lui dérober. Cette précoce tentative, laissait derrière elle une sanglante empreinte : les griffes poussent de bonne heure aux lionceaux. En 1552, Ivan Vasilévitch avait vingt-deux ans ; un sacre solennel venait d’affermir sur son jeune front la couronne ; le roi de Pologne, Sigismond Ier, s’acheminait, fatigué, vers la tombe ; le moment était favorable pour porter le dernier coup à la nation mongole. L’armée moscovite alla camper sous les murs de Kazan. Le 2 octobre, on eût vainement cherché des Tartares indépendans en Russie. La Horde-d’Or avait subi le joug des anciens vassaux de la