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l’empereur que les confînistes devinrent citoyens hongrois. Le parti serbe voyait ainsi disparaître son espoir de voïvodina, dont les confins faisaient comme une première assise. Néanmoins cette annexion augmentait les forces numériques du parti serbe et lui donnait l’espoir de conquérir quelques sièges de plus dans la diète.


V

L’histoire que nous venons de raconter, toute abrégée et toute privée de détails qu’elle soit, a pu paraître au lecteur longue, compliquée, et peut-être obscure par sa complication même. Ce n’est pas notre faute si dans ces régions de l’Europe orientale il n’existe rien d’analogue à l’unité des états occidentaux, si les nations s’enchevêtrent les unes dans les autres, si des institutions particulières limitent l’autorité de l’état, si les questions religieuses ont une importance nationale, et si les aspirations révolutionnaires se mêlent aux revendications du droit historique. Pour comprendre cette concordia discors, cette macédoine qui s’appelle le royaume de Hongrie, il ne faut pas seulement isoler l’histoire de chaque nationalité, on doit encore suivre celle-ci dans ses formes les plus diverses : ainsi avons-nous fait avec les Serbes. Il nous reste à dire ce qu’ils sont à l’heure actuelle, quelle est leur activité politique, quel est leur programme, et quelle influence ils exercent, par réaction, sur le gouvernement hongrois.

La race serbe, prise dans sa totalité, forme près de 4 millions d’âmes[1]. Sur ce nombre, environ un tiers fait partie de l’empire

  1. Voici, d’après M. Picot, qui a soumis cette statistique délicate à une critique minutieuse, la distribution actuelle de la race serbe :
    Principauté de Serbie (déduction faite d’environ 110,000 Roumains). 1,140,000
    Monténégro 200,000
    Herzégovine 227,000
    Bosnie 780,000
    Pachalik de Novi-Bazar (ancienne Serbie ou Rascie) 120,000
    Hongrie, Croatie et Slavonie 1,000,000
    Dalmatie et Istrie 425,000
    Total 3,892,000


    Mais il faut noter qu’une fraction importante des Serbes de Turquie sont musulmans, environ 400,000. Les Slaves de la Dalmatie et de l’Istrie sont souvent classés comme Croates. La distinction des Croates et des Serbes est une distinction historique plus qu’une division ethnographique. On est généralement convenu d’appeler Serbes ceux qui appartiennent au catholicisme de rite oriental (uni ou non uni) et qui emploient l’alphabet cyrillique, et Croates ceux qui appartiennent au catholicisme de rite latin et qui emploient l’alphabet latin. Néanmoins quelques savans, et notamment M. Picot, rangent parmi les Serbes les Slaves catholiques latins de la Dalmatie et de l’Istrie, parce qu’ils se rattachent par leur dialecte aux Serbes propres, et les Chokatses et les Bouniéyatses de la Hongrie (environ 60,000), quoique ceux-ci soient catholiques latins et écrivent leur langue avec l’alphabet latin. Les Croates sont environ 1,350,000. Au point de vue strictement ethnographique on ne devrait parler ni de Croates ni de Serbes, mais de Croato-Serbes. Les uns sont aux autres ce que les Genevois protestans sont aux Savoyards catholiques.-