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doivent souvent payer pour leur cause. L’histoire de M. Milétitch, l’un des principaux chefs du parti serbe, en est la preuve éloquente. Nous avons dit qu’on avait essayé de l’impliquer dans le meurtre du prince Michel de Serbie, et que cette ridicule accusation avait dû être abandonnée. En 1870, on l’enlevait aux délibérations du congrès serbe. La diète de Hongrie avait accordé l’autorisation de le poursuivre pour un article de son journal la Zastava (le Drapeau). Afin que son siège à la diète ne fût pas perdu pour son parti, M. Milétitch donna sa démission, et la ville de Novi-Sad le remplaça par un de ses amis. Il fut condamné à un an de prison par les tribunaux de Pesth, et le gouvernement hongrois appliqua cette peine avec tant de rigueur, que M. Milétitch ne put obtenir l’autorisation d’aller fermer les yeux à une de ses filles, morte pendant sa détention ! Sa sortie de prison et son retour au milieu des Serbes fut un triomphe. Des députations venues de plus de cinquante communes l’acclamèrent à sa rentrée dans Novi-Sad. Les journaux nous apprenaient, il y a un mois, que, malgré l’inviolabilité que lui donne son caractère de membre de la diète, M. Milétitch a été arrêté à Novi-Sad sous la grosse, mais étrange accusation de haute trahison[1]. Être Serbe, c’est-à-dire espérer le triomphe de la Serbie, envoyer de la charpie et de l’argent à Belgrade, essayer d’y faire passer des volontaires, conspirer contre la Turquie, c’est donc conspirer contre l’Autriche !

La frontière politique entre la Hongrie et la Serbie sépare les deux fractions de la race serbe comme une grille séparerait les eaux d’un fleuve. Nous avons vu la littérature serbe naître en Hongrie, les savans serbes de Hongrie, les Obradovitch, les Filipovitch, les Danitchitch, aller se fixer à Belgrade ; tous les jours des professeurs, des médecins, des commerçans, des ouvriers, des paysans même, regagnant la patrie de leurs arrière-ancêtres, vont s’établir en Serbie. Des Serbes, anciens officiers de l’armée autrichienne, sont venus prendre du service dans l’armée serbe. Si le général Zách est un Tchèque établi depuis vingt-cinq ans en Serbie, et si son chef d’état-major Kalinitch[2] est un Croate, le chef d’état-major de l’armée de la Drina, Oreskovitch, est un ancien capitaine de l’armée autrichienne, et dans la même armée les volontaires bosniaques sont commandés par un Serbe du banat, Putnik, qui a joué un rôle assez brillant dans l’insurrection de 1848 en Hongrie.

  1. C’est aussi pour la même accusation qu’à son retour de Serbie Stratimirovitch a été arrêté par les autorités hongroises. Stratimirovitch a le grade et la retraite de général autrichien, sans en avoir jamais rempli les fonctions. Nous doutons qu’on puisse le condamner à autre chose qu’à la perte de son grade. Nous ne devons pas oublier qu’en janvier 1871, à la diète de Hongrie, dont il était membre, Stratimirovitch reprochait ses sympathies allemandes au ministère hongrois.
  2. Mort, il y a quinze jours, des suites d’une blessure reçue devant Siénitza.