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Ce ne sont pas les seuls, et plus d’un Serbe patriote est venu de Hongrie prendre part à la guerre nationale. Si quelqu’un s’en étonne, il ignore qu’en 1848 près de quinze mille volontaires de la principauté de Serbie se sont enrôlés dans l’insurrection serbe de Hongrie. Les Hongrois s’en souviennent, et par rancune autant que par neutralité, ferment leur frontière.

Le gouvernement hongrois poursuit et réprime ces sympathies comme il ferait d’un complot contre sa propre sécurité. Il a évoqué le spectre de l’Omladina[1], désorganisée en 1873, pour en faire un nouveau carbonarisme, suspend des municipalités, dissout des tribunaux (celui de Velika-Kikinda), il fait arrêter les gens soupçonnés d’avoir souscrit à l’emprunt serbe,… et il a créé justement par ces mesures l’agitation qu’il prétendait apaiser. Les journaux hongrois réclamaient des mesures plus sévères encore, et à les entendre, on aurait cru le royaume de Hongrie en danger. Des deux côtés on se rappelle les événemens de 1848. Il semble que, mécontent de ne pouvoir faire entrer son armée en Serbie ou de ne pouvoir annexer cette Bosnie que M. Andrassy déclarait en 1869 une dépendance historique de la couronne de saint Étienne, le gouvernement austro-hongrois veuille par rancune aider indirectement la Turquie à étouffer l’insurrection des chrétiens slaves. Involontairement on se rappelle les beaux vers des Orientales, où le poète, après avoir célébré l’alliance de Navarin (sainte alliance s’il en fut I), interpelle celle qui aujourd’hui semble mériter une seconde fois la même apostrophe :

Je te retrouve, Autriche ! — Oui, la voilà, c’est elle !
Non pas ici, mais là, — dans la flotte infidèle,
Parmi les rangs chrétiens en vain l’on te chercha !..

Ce n’est pourtant pas sans raison que les politiques magyars, qu’ils siègent à droite, au centre ou à gauche, sont sans exception partisans de la Turquie et des Turcs. Le général Klapka, ce vétéran de la révolution magyare de 1848, n’a-t-il pas été offrir son épée à la Turquie ? L’instinct devine ici l’intérêt. Il n’y a pas seulement analogie dans l’histoire des Magyars et des Turcs ; des deux côtés, c’est une horde asiatique qui s’est établie en conquérante au milieu de races étrangères, à cela près qu’en se convertissant au christianisme et à la civilisation les Magyars ont donné un titre légitime à leur possession. Mais des deux côtés c’est une race minorité, gouvernant des races hostiles dont la réunion constitue la majorité, et ce sont pour une partie les mêmes races dont la sujétion fait la raison d’être et la grandeur des deux empires

  1. Ce nom est encore employé, mais pour désigner le parti de la Jeune-Serbie.