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Russe d’avoir une flotte, si petite qu’elle soit, dans la Mer-Noire. Il correspond directement avec l’empereur des Français, sur ces points qu’il redoute de voir devenir un frein de la guerre. Il lui montre le danger de ce « dédale de négociations qui amollissaient les esprits en France, en Angleterre, en Allemagne, partout et même en Crimée. » (Lettre du 28 mai 1855.) Il ne comprend, pour lui, qu’une bonne manière de faire la paix, c’est de conduire énergiquement la guerre. « Victorieux en Crimée, nous commanderons l’amitié, peut-être même l’épée de l’Autriche ; manquant de succès en Crimée, nous n’aurons pas même sa plume. »

Lord John Russell, qui s’était laissé attendrir dans le « labyrinthe de Vienne, » ne put faire accepter à Londres les propositions de l’Autriche ; il donna sa démission comme fit alors M. Drouyn de Lhuys, qui avait aussi adhéré aux propositions du comte Buol. Grâce à la vigueur déployée par le département de la guerre, l’armée anglaise avait été mise sur un excellent pied en Crimée. La politique de Palmerston fut enfin couronnée par la prise de Sébastopol.

Palmerston n’a plus qu’une crainte, c’est une mauvaise paix : « La nation anglaise, écrit-il le 21 novembre 1855 à M. de Persigny, alors ambassadeur de France à Londres, serait enchantée d’une bonne paix qui assurât les objets de la guerre ; mais plutôt que d’être entraînée à signer la paix à des conditions insuffisantes, elle préférerait continuer la guerre sans d’autres alliés que la Turquie, et elle se sent tout à fait en état d’en soutenir le fardeau. « Le comte Buol cherchait à faire des stipulations relatives à la Mer-Noire l’objet d’un traité séparé entre la Russie et là Turquie. La France pencha un moment en ce sens. Palmerston insista pour que ces stipulations fissent partie intégrante du traité à signer entre les belligérans. Pendant la durée du congrès de Paris, Palmerston dicta les paroles de Clarendon. Il ne voyait pas sans ennui Napoléon III, las de la guerre, satisfait d’avoir montré la reine Victoria au peuple français, devenu père d’un nouveau roi de Rome, déjà entouré des hommages de toute l’Europe. Napoléon, il le sentait bien, n’avait aucun intérêt à achever la Russie ; il était pressé de faire revenir en France ses légions et ses aigles. Palmerston lutta presque seul pied à pied, pendant les négociations, tâchant de rogner autant que possible les ongles de l’ours russe.

Personne n’avait contribué plus activement que Palmerston à donner au nouvel empire français une place éminente en Europe ; mais il se dégoûta bien vite de l’idole qu’il avait pétrie de ses mains. Il ne devint pas, comme Pygmalion, amoureux de son ouvrage, il en fut effrayé ; il s’était flatté de pouvoir tenir toujours enlacé dans la reconnaissance le souverain qu’il avait connu exilé, qu’il avait en quelque sorte présenté au monde après la nuit du