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par une sorte de fatalité, par ce qu’il avait appelé un jour « la logique irrésistible des faits. » La politique napoléonienne était romantique, elle ébauchait sans cesse de grands desseins ; elle voulait parler sans cesse à l’imagination du peuple. Palmerston ne pouvait plus sonder cette pensée, dont les rêves avaient des armées à leurs ordres ; il goûtait vivement cette audace flegmatique qui jouait avec les trônes, les traités, les traditions historiques, tant qu’elle se contentait d’infliger de dures leçons aux potentats, car il y avait dans l’âme de Palmerston un mépris instinctif pour tous les porteurs de couronnes. Mais pourrait-il toujours préserver son propre pays des coups de cette témérité froide qui se croyait l’instrument du destin ? pourrait-il en préserver ces petits pays auxquels l’Angleterre avait solennellement promis son appui aux jours de danger ?

L’état de son esprit se voit bien dans ce curieux billet qu’il écrivait à lord Cowley en avril 1860 : « John Russell m’a montré la lettre confidentielle qu’il vous écrit. Je suis d’accord avec lui sur tous les points… L’esprit de l’empereur est aussi plein de projets qu’une garenne est pleine de lapins, et comme des lapins ses projets se terrent un moment pour ne pas être vus ou contrariés… Nous n’avons pas de motif de guerre suffisant dans l’affaire de Nice et de la Savoie, et nous n’aurions pu trouver de moyens avouables pour en empêcher l’annexion ; mais il peut surgir d’autres questions où l’Angleterre ne pourra être aussi passive. » Jusqu’à l’annexion de la Savoie, les sentimens que Palmerston éprouvait pour Napoléon III se résument assez bien dans le commencement d’un vers que Catulle adresse à une maîtresse, — odi et amo ; — après l’annexion de la Savoie, la répulsion devint le sentiment dominant. Palmerston fut comme obsédé par la pensée qu’au terme de tous ses grands projets Napoléon III rêvait la revanche de Waterloo et l’invasion de l’Angleterre. Dans une lettre adressée au duc de Somerset, il exprime ainsi ses alarmes : « J’ai observé l’empereur attentivement, j’ai bien étudié son caractère et sa conduite. Soyez assuré qu’au fond de son cœur remue le désir inextinguible d’humilier et de punir l’Angleterre et de venger, s’il le peut, les nombreuses humiliations politiques, navales et militaires que depuis le commencement du siècle l’Angleterre, par elle-même ou par ses alliés, a infligées à la France. Il a suffisamment organisé ses forces militaires ; il est maintenant occupé à organiser secrètement, mais constamment, ses forces navales, et quand il sera prêt, on jouera l’ouverture, le rideau se lèvera, et nous aurons un très vilain mélodrame. »

Il était tantôt flatteur et caressant, et cherchait à enchaîner l’empereur par les louanges ; il essayait aussi la brutalité, comme dans