Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 16.djvu/911

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

supportant, disons mieux, ne comprenant pas l’existence d’une presse quelconque, sinon pour l’enregistrement des communications officielles. Ces obscurités sont augmentées par les réticences ordinaires de la politique orientale, dont les détours sont passés en proverbe. Pour s’y guider, toutes les lumières de l’impartialité, du désintéressement et de la bonne foi sont à peine suffisantes. A chaque pas, l’on se demande si l’on est aux prises avec une réalité ou si l’on est le jouet d’une illusion. Les faits sont-ils seulement des apparences ? Les raisons qu’on en donne ouvertement servent-elles seulement à dissimuler des motifs inavoués ? En écoutant les hommes du gouvernement, n’est-on pas dans le doute de leur faire injure par trop de défiance ou de leur prêter à rire par trop de crédulité ? Faut-il prendre au sérieux certains actes inexpliqués et difficiles à comprendre ou les considérer comme accomplis uniquement en vue de donner le change à l’Europe ? Embarrassante alternative ! L’histoire, privée des fils conducteurs de la presse et des documens administratifs, en est réduite à tâtonner dans un dédale où il est presque impossible de discerner le droit chemin. Aussi est-elle tenue à beaucoup de réserve et de ménagemens pour éviter toute injustice, car mieux vaut innocenter un coupable que condamner un innocent.

Le gouvernement d’Ismaïl s’est donné dès l’origine beaucoup de mouvement. L’Europe en a cherché curieusement le motif. Les Égyptiens ne demandaient pas cette agitation. L’administration a pris un rôle de réformateur. On en a été surpris et l’on a douté de la sincérité et de la durée de cette métamorphose. On s’est dit tout de suite qu’elle procédait, par voie indirecte, à des fins inconnues. Lorsqu’elle a obtenu un semblant de réussite, chacun s’est demandé s’il fallait la féliciter de son succès, ou si les félicitations ne seraient pas une ironie. Au fond, il a semblé qu’elle payait ses triomphes beaucoup plus cher qu’ils ne paraissaient valoir. C’est ainsi qu’on a jugé ses principaux actes : la suppression de la corvée, la concession au vice-roi de l’hérédité directe de ses descendans, celle du titre honorifique de khédive, la réforme judiciaire,, la réforme financière. Le gouvernement de l’Égypte n’eût-il pas été mieux inspiré en administrant cette province dans le statu quo d’un absolutisme éclairé et humain ?

Quand Ismaîl est arrivé à la vice-royauté, les avenues de son trône de vassal étaient encombrées de morts illustres. Ces catastrophes auxquelles il était resté certainement étranger en avaient rendu l’accès et les premiers pas difficiles : Toussoum, Ibrahim, Ismaîl, Mohammed-Saïd, tous les quatre fils de Méhémet-Ali, étaient morts jeunes : Ibrahim, le vainqueur de Nézib, atteint de