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vice-royal : « désormais, quand le poste de gouverneur de l’Égypte sera vacant, ce poste écherra en ligne droite, de l’aîné à l’aîné, dans la race musulmane, parmi les fils et petit-fils. »

Méhémet-Ali ne daigna pas en demander davantage. Succombant bientôt sous l’envie et l’injustice coalisées, voyant la ruine de ses projets et de ses espérances, parvenu à la fin d’une carrière où les événemens avaient surexcité ses facultés éminentes au-delà de toute mesure, cet homme, parvenu à la limite étroite qui sépare le génie de la déraison, dépassa cette limite et mourut dans des accès de folie. Comme nous l’avons dit, son successeur Ibrahim ne lui survécut pas longtemps. La mort ne lui laissa pas le temps de prouver qu’il eût été administrateur aussi habile que bon général d’armée ; son décès ouvrit l’ère de la succession indirecte réglée par le firman du sultan. Ce ne fut pas le fils d’Ibrahim, ce fut son neveu, Abbas-Pacha, qui lui succéda comme étant le plus âgé de la famille. Cette disposition de la loi mahométane a, dit-on, pour but de réserver l’exercice du pouvoir aux hommes faits et d’éviter le péril des régences dans des contrées où la mère, souvent de condition servile, garde, dans son élévation à la dignité maternelle, le caractère indélébile de cette basse condition et ne peut d’ailleurs exercer aucune autorité à cause de son sexe. Le législateur musulman s’est proposé, paraît-il, de réserver le gouvernement des peuples à ceux qui, par leur maturité, en sont présumés seuls capables ; mais il a manqué son but. L’hérédité directe est indiquée par la nature ; ce principe a les mêmes bases et les mêmes conséquences que la transmission directe de la propriété de père en fils. Nul ne travaille, n’épargne et n’augmente son bien en vue d’en faire profiter des collatéraux. C’est du moins l’exception ; au contraire chacun considère comme chose naturelle la transmission de sa fortune à ses enfans, et n’hésite guère à s’imposer même des privations pour l’accroissement de leur futur héritage. Les princes musulmans éprouvent le même sentiment. Comment seraient-ils tourmentés du désir d’améliorer la condition de leurs sujets afin de transmettre à leur successeur un état heureux, prospère et des finances florissantes, si ce successeur doit être quelque collatéral antipathique, peut-être hostile ? Ils sont donc surtout préoccupés du soin de grossir leur fortune personnelle, dont ils ont la libre disposition en faveur de leurs enfans. La loi musulmane est donc doublement mauvaise, puisqu’elle porte le souverain à négliger l’état et à rançonner les sujets. Elle a de plus consacré une exception au lieu d’un principe. On se fait en Europe une idée très fausse de la condition et du caractère des femmes en Orient. Il en est de serviles dans les harems, et certes les maîtres usent de ces femmes, mais à peu près comme un