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le gouvernement. Qu’importaient dans une monarchie pleine de grandeur et de force, comme celle des Soliman et des Amurat, les immunités concédées à quelques familles de raïas ? Du reste, ces commerçans étaient si peu nombreux que, dans l’empire ottoman, on s’apercevait à peine de leur présence. Les premières « capitulations » conclues par le roi François Ier furent renouvelées sous les règnes suivans, y compris celui de Louis XVI. À cette époque, la population française établie dans les échelles du Levant et jouissant du bénéfice de ces traités, ne comprenait pas plus d’un millier d’individus. La protection que l’ancienne monarchie étendait à tous les intérêts français, même de peu d’importance, est sensible ici surtout à cause de ce nombre infime des résidons. Au fond, cette protection et les privilèges maintenus étaient très précieux. La Turquie entrait déjà dans une période de décadence, mais le fanatisme turc suivait plutôt une progression ascendante. La justice musulmane n’a jamais été très éclairée. Recourir à ses lumières pour l’interprétation de lois étrangères dont elle n’avait aucune notion, c’eût été livrer les plaideurs à l’ignorance, au mauvais vouloir, aux effets de la captation. Si la France avait abandonné aux procédés plus que sommaires de cette justice les étrangers accusés de délits ou de crimes, elle les eût exposés au supplice d’une détention arbitraire, inhumaine, sans règle ni mesure, aux arrêts d’une justice sans garantie. Toute sécurité eût été enlevée aux intérêts fondés dans les comptoirs du Levant. Les biens et la vie des colons eussent été livrés en proie à la haine, à la cupidité, aux plus mauvais sentimens. Sous ce rapport, les « capitulations » étaient non pas seulement des actes de bonne politique, mais des traités contribuant au développement du commerce de la France.

Il en résultait que les procès civils étaient soumis aux consuls et que les procès criminels étaient déférés aux mêmes autorités consulaires. Tant que le nombre des étrangers fut insignifiant, ces procédés n’eurent pas d’inconvénient. Avec le temps, la situation changea. Au lieu d’un millier de commerçans tous connus, tous cautionnés par des maisons recommandables, la Turquie vit s’abattre sur son territoire un flot de population que la mer y jeta comme une écume dont l’agitation et les méfaits furent pour l’empire une cause perpétuelle de trouble. Les capitulations, qui d’abord étaient purement protectrices, devinrent offensives. L’existence de cette juridiction consulaire fut un affront pour la souveraineté territoriale, elle contribuait à l’affaiblissement et à la déconsidération de l’empire ; elle y encourageait le crime et en provoquait l’impunité en soustrayant les criminels à toute répression. Le privilège dérivant des capitulations avait donc pris des proportions imprévues résultant