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L’histoire abonde en personnages qui semblent créés pour le roman et pour le drame : Louis XIII et Richelieu sont du nombre, Louis XIV point. Louis XIV est un dogme ; l’idée qu’il se fait de son pouvoir, son despotisme religieux, lui tiennent partout les mains liées. A Richelieu rien ne manque, au contraire, de ce qui parle à l’imagination : le mouvement, l’action, l’imprévu, voilà sa vie ; il se voue à l’idée poursuivie par les Valois et par Henri IV, il fonde la monarchie, mais en pleine liberté d’esprit, sans l’ombre de superstition monarchique ou religieuse, et passant outre aux dogmes qui pourraient embarrasser sa politique, ne s’occupant ni des convenances ni des contradictions, catholique féroce dans ses répressions à l’intérieur, huguenot au dehors, et n’ayant que belles sympathies pour les puritains d’Ecosse et d’Angleterre, qui ne s’étaient pas, comme le parti des Stuarts, montrés tout flammes pour la cause de la reine-régente et ne l’avaient point plantée là dans sa guerre avec l’Espagne. Il est juste aussi d’ajouter que Richelieu n’était pas né sur le trône, et que ce pouvoir, dont il usa si vigoureusement au profit de l’unité nationale, lui venait non de Dieu, mais de ses propres œuvres, et voulait être reconquis à toute heure et tenu en équilibre à force de ressources, circonstance qui dans cette question de foi monarchique peut bien modifier le point de vue. Les faiseurs de systèmes nous présentent le cardinal de Richelieu comme le précurseur de la révolution française ; précurseur, soit, mais inconscient.

C’est assez pour un grand politique de suffire à la tâche que son temps lui impose ; plus vaudra sa personnalité, plus sera forte la résistance qu’elle rencontrera, et plus puissamment l’empreinte du génie de cet homme restera gravée dans son œuvre. Le génie d’un homme, quel qu’il soit, ne prévoit pas à si longue distance ; il faudrait, pour qu’il en fût autrement, pouvoir d’avance se rendre compte des événemens, et comment les calculer, ces événemens, sur lesquels des forces nouvelles qu’on ignore auront à s’exercer ? Richelieu n’a qu’un but, accomplir la besogne de l’heure présente : il fonde l’état, crée un instrument ; ce que deviendra plus tard cet instrument, à quels desseins d’autres l’emploieront, ce ne sont point ses affaires. Ce qu’il veut, c’est une France non divisée, grandissant en étendue, en puissance ; là se bornent ses spéculations et son travail. « Allons au plus pressé, » lui répétait incessamment Leclerc du Tremblay, celui qu’on appelait l’éminence grise, un redoutable familier, moine et soldat, ayant son plan, l’homme d’une idée implacable et que Richelieu, l’homme de toutes les idées, écoutait indulgemment, prenant et laissant à son aise. « Le plus pressé, » ce fut d’abord d’avoir raison d’une noblesse turbulente, avide, fanfaronne, toujours en travail de conjuration sous le couvert d’un prince du sang ou de quelque bâtard d’Henri IV. On avait alors pour soi