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de roman n’était en somme qu’un dadais : Richelieu ayant besoin d’un espion à sa solde, l’avait donné au roi, lequel, sachant de quoi il retournait, se laissait faire et se contentait d’engager son entourage à se défier du méchant drôle toujours fourré derrière les rideaux ou feignant de dormir dans un fauteuil ; Louis XIII tenait à ne pas se brouiller avec son ministre, et la raison d’état bien plus encore que sa propre faiblesse de caractère lui conseillait d’obéir aux recommandations d’un homme dont il sentait ne pouvoir se passer. Quant aux intrigues qui se nouaient sous ses yeux, il affectait de n’y rien voir, ne voulant prendre parti ni pour ni contre, et guettant d’un regard sournois si parmi tous ces prétendans il n’en trouverait pas quelqu’un qui fût capable de remplacer au besoin le cardinal ; puis subitement, au plus chaud de l’action, apparaissait soit la personne de Richelieu, soit un message de sa main, non moins impératif que politique, et le roi plus que jamais convaincu que du côté de son vieux compère se trouvaient l’intérêt de la France et les grands desseins, se jetait dans les bras du cardinal, et lui sacrifiait froidement les opposans.

Considéré sous cet aspect de l’expectative, du voir-venir et d’un rationalisme imperturbable, Louis XIII offre à l’imagination une physionomie particulière. Souvenons-nous du Louis XI de Quentin Durward et du relief que le romancier écossais imprime à certains de ses portraits d’histoire. En ce sens, Louis XIII, insignifiant comme roi, deviendrait entre les mains d’un Scott ou d’un Shakspeare un personnage dramatique intéressant. Grandi démesurément en faveur, ce page infatué, paresseux, — le roi, dans un billet au cardinal, se plaint de la paresse de Cinq-Mars, — voulait tâter aussi du métier de conspirateur ; l’opposition crut voir en lui un Luynes plus réussi. On s’entendit avec Monsieur, toujours prêt à risquer au jeu la tête des autres, on lia partie avec l’Espagne, rien de plus naturel. Richelieu n’ignorait aucun détail, les preuves cependant faisaient défaut. Seul et malade à Narbonne, travaillé d’atroces souffrances, il savait que devant Perpignan sa perte était résolue. Sa faiblesse augmentant, les médecins lui conseillaient de s’en retourner ; il fit le voyage dans sa litière, dont le bercement endormait son mal, et ses yeux eurent pour se distraire le paysage du Languedoc hérissé des forteresses du protestantisme saccagées par ses soins. Traqué, menacé partout, il prenait les chemins de traverse et disputait aux assassins les restes d’une existence désormais à bout de ressources. Un jour, aux approches de Tarascon, la litière brusquement s’arrête ; le patient supposant une attaque se redresse effaré sur son coussin. Mais non, point de péril, un courrier simplement est là arrivé ventre à terre ; il présente un pli cacheté, le cardinal rompt le sceau d’une main tremblante, et soudain son regard terne