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sauvage, tout étranger est un ennemi qu’il doit exterminer dans l’intérêt de sa propre sécurité. Dans beaucoup de langues primitives, les peuples voisins sont désignés par ces mots : « les ennemis. » On sait d’ailleurs que les premiers vestiges de l’humanité sont des armes, que les récits des anciens peuples commencent toujours par des scènes de meurtres ou de combats, que les villes étaient des forteresses invariablement bâties comme des repaires de vautours sur les hauteurs les plus inaccessibles. Les prétextes de collision sont toujours les mêmes : empiétement sur les pâturages, vol de bestiaux, enlèvement de femmes, vengeance, plus tard ambition de princes, soif de conquêtes ou de pillages, agrandissement de territoire, etc. De nos jours encore, nous voyons les nations les plus civilisées se ruer sur leurs voisins, sous prétexte de revendication de frontières, et ramener tous les épouvantemens des temps barbares. Nous retrouvons ainsi dans la formation des sociétés cette grande loi darwinienne qui domine la nature vivante toute entière. Le crime entre les hommes, la guerre entre les peuples, tel est donc le double boulet que l’humanité serait éternellement condamnée à traîner avec elle, si les idées morales de solidarité et de justice, qui forment la caractéristique par excellence de notre espèce, ne venaient faire contre-poids aux instincts de l’animalité, et tracer une ligne de séparation infranchissable entre l’homme et le reste du monde organique.


II

La notion morale de justice entre les individus, de solidarité entre les peuples, n’entrant que tard et lentement dans la conscience humaine, les annales des premiers âges rappellent presque toujours des scènes de destruction, qu’on ne peut comparer qu’aux rencontres de certaines espèces animales se disputant le sol. Deux faits ayant la valeur de lois historiques se dégagent cependant de cette confuse mêlée de races. Le premier fait est la marche envahissante de nations à qui le développement des facultés cérébrales assure la victoire sur les autres tribus ; le second est la direction constante suivie par le courant humain. Dès avant l’aube des temps historiques, nous voyons les Aryas s’élancer des hauts plateaux de l’Asie centrale et se diviser en deux groupes pour marcher à la conquête du globe. Le premier, tournant vers l’est, descendit d’abord dans les riches vallées de l’Inde, exterminant les populations indigènes, les Dasyus des hymnes védiques ; puis, côtoyant la race mongolique, trop forte pour se laisser entamer, il envoya des rameaux jusque dans les grandes îles qui forment le prolongement de