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l’extrémité orientale de l’Asie, et ne s’arrêta que devant l’immensité du grand océan. Le deuxième groupe, se dirigeant vers l’ouest, envahit l’Europe étape par étape, refoulant toutes les peuplades qu’il rencontrait sur sa route. L’avant-garde de cette migration, qui dura probablement de longs siècles, était formée par les Ibères, dont on retrouve les traces depuis le Caucase jusqu’aux colonnes d’Hercule. Là les Ibères attendirent plus de trente siècles que la boussole, maniée par un navigateur de génie, leur permît de reprendre le chemin de l’ouest. Cet homme parut enfin, et dans les dernières années du XVe siècle Christophe Colomb, s’élançant vers cette mer inconnue, tenta de rejoindre les Aryas de l’est. Arrêté par le continent américain, il ne put qu’indiquer la route à ses successeurs, et quelques années après, les compagnons de Magellan, pénétrant dans le Pacifique, retrouvèrent dans les grandes îles qui avoisinent l’Asie leurs frères de l’est, après plusieurs milliers d’années de séparation. Depuis cette époque, la marche des Aryas vers l’ouest s’est continuée ; aujourd’hui encore, des légions d’émigrans quittent chaque année le sol appauvri de la vieille Europe, pour aller demander l’existence aux terres fécondes du Nouveau-Monde.

De ce grand courant humain marchant toujours vers l’ouest et embrassant la circonférence du globe, dérivent des courans secondaires offrant tous la même direction, celle du pôle à l’équateur. Cela s’explique sans peine : si nous comparons les peuplades du nord avec celles du midi, nous voyons d’un côté des populations énergiques faites à la fatigue, se trouvant à l’étroit sur un sol ingrat et sous un ciel inclément, de l’autre des nations énervées par la douceur du climat, vivant presque sans travail, tant la terre est fertile. Dès lors, par une sorte d’équilibre, le trop plein des populations septentrionales se déverse en avalanches périodiques dans les riches plaines du sud. L’histoire de l’Occident n’est, à vrai dire, que le récit de ces débordemens ethniques, recouvrant de leurs alluvions les peuples du midi, et des efforts tentés par ceux-ci pour opposer des digues aux flots envahisseurs. La vaste et sombre Germanie, appelée par Jornandès le grand laboratoire des nations, magna ofjicina gentium, est la terre-mère des fourmillemens humains. Des premières hordes kymriques jusqu’à nos jours, presque tous les grands ébranlemens qui ont agité l’Europe ont eu pour point de départ la puissance prolifique de la race teutonique et l’insuffisance du sol à la nourrir. Par contre, l’histoire n’a enregistré que des désastres, toutes les fois que le courant humain a essayé de remonter vers les pôles. Les annales des peuples, depuis Sésostris jusqu’à Napoléon Ier, démontrent ce fait, on pourrait dire ce contresens historique à chacune de leurs pages.