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graduelle des formes organiques, en nous faisant connaître, parmi les causes de destruction, celle qui paraît agir comme le facteur le plus puissant. On sait qu’une des conséquences immédiates des vues du célèbre naturaliste est que les espèces terrestres, aussi bien que les espèces aquatiques, sont filles de l’océan. Pour parler d’une manière plus précise et afin de ne pas trop heurter les idées reçues, nous dirons que le milieu dans lequel s’est accomplie la genèse animale, au lieu d’être un fluide gazeux comme l’air atmosphérique, a été un fluide liquide. Cette manière de voir, à laquelle nous avaient depuis longtemps préparés les travaux des chimistes sur le mode de formation des organismes élémentaires, a été confirmée de nos jours par l’embryologie, qui retrouve invariablement dans la première phase de l’évolution fœtale de chaque vertébré un type rappelant la structure des poissons les plus simples. Or il est d’axiome en biologie que la première forme fœtale d’un animal quelconque est la reproduction abrégée de la première forme ancestrale de l’espèce à laquelle cet animal appartient. L’avidité que mammifères et oiseaux montrent pour les sources salées, ou plus généralement l’eau et le sel, élémens d’ailleurs essentiels à la souplesse et à la vigueur des organes, est comme un souvenir inconscient de cette genèse océanique. J’ai vu, dans l’Amérique du Sud, les animaux de l’intérieur des terres venir lécher les jambes de chevaux qui arrivaient des bords de la mer. Aux yeux des naturalistes, ce goût, on pourrait dire ce besoin pour le sel, doit trouver son explication, non dans la saveur de ce condiment, mais dans le principe même de l’organisation animale, dans la composition du sang, dont les chlorures alcalins ont été puisés à l’origine dans le liquide générateur. La respiration branchiale faisant place insensiblement dans quelques espèces à la respiration pulmonaire, ces dernières en viennent à quitter l’eau si leur organisation leur permet de soutenir sur le continent la lutte pour l’existence. Ainsi transplantées dans un milieu complètement différent de celui où elles avaient pris naissance, elles perdent dans le cours des âges la somme des énergies vitales qu’elles tenaient du fluide nourricier, s’étiolent, dépérissent et finissent par s’éteindre, tandis que certains cétacés, comme la baleine et le cachalot, profitant de la vigueur que donne la respiration aérienne, sans quitter le milieu primitif, n’ont cessé d’augmenter de volume et dépassent les formes gigantesques que nous révèlent les fossiles des anciennes époques géologiques. Quoi qu’il en soit de ces vues théoriques, deux faits restent irrévocablement acquis à la science : l’appauvrissement de la force plastique qui modela la puissante faune des terrains tertiaires, et l’extinction successive des espèces. La race humaine n’étant, au point de vue organique, qu’un rameau de l’arbre de la vie, ne saurait échapper à la loi commune.