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n’est banal, rien n’a été laissé au hasard ; tous les détails en ont été patiemment cherchés et heureusement trouvés. Elle est riche et pourtant elle est discrète. La variété des ors, la délicatesse des ornemens témoignent d’un goût exquis, et la finesse des profils égale l’harmonie des lignes.

Le buste d’Henri Regnault se détache sur le fond d’or d’une admirable mosaïque où s’épanouissent « les lauriers d’un jardin glorieux. » On peut trouver à redire à la triste couleur de ce buste ; il est d’un bronze un peu noir, il jure avec le reste, il tranche sur les splendeurs qui l’entourent, il fait tache. De loin on dirait une pièce rapportée, quelque vénérable antiquité, vieille injure des ans, placée dans une châsse toute neuve, qui lui reproche son grand âge. Quand on l’examine de près, on reconnaît que M. Degeorge s’est acquitté à son honneur d’une tâche malaisée. Il a du chercher une ressemblance de souvenir, il n’avait pas la nature pour l’aider. Il a donné à son personnage le costume militaire, une expression énergique et fière, une attitude et un visage de combat, et personne ne lui reprochera d’avoir mal compris son sujet.

Avant même qu’il eût échangé ses brosses contre un fusil, sa palette contre une giberne, c’était un soldat que Regnault. Il possédait au suprême degré ce que les phrénologues appellent la combativité ; il avait l’âme militante, il considérait la vie comme une bataille. Il croyait, nous apprend un de ses biographes, qu’à une âme forte il fallait un corps robuste, « comme à un ardent cavalier un bon cheval, » et à Rome comme à Paris, à Paris comme à Tanger, son atelier ressemblait à un gymnase, où des cordes, des échelles, des trapèzes pendaient au plafond, où l’on se heurtait à d’énormes haltères, effrayans pour tout autre que lui[1]. Un Anglais a prétendu que le génie consistait « dans une énorme capacité pour se donner de la peine, in an enormons capacity for taking trouble. » Regnault pratiquait avec amour cet art de se tourmenter, qui fait jaillir l’étincelle du caillou. S’il travaillait à fortifier ses muscles, c’est qu’il voulait s’endurcir et se rendre capable de tout braver, de tout affronter. Il le disait lui-même, le premier de ses plaisirs était de vaincre. « Je voudrais, écrivait-il un jour, créer avant de mourir une œuvre importante et sérieuse, que je rêve en ce moment, et où je lutterais avec toutes les difficultés qui m’excitent. » Il était de ces hommes qui font passer quelque chose avant le bonheur : à toutes les joies de ce monde, il préférait les douleurs de l’effort et de l’éternel désir. Il appartenait à la noble race des audacieux et des violens qui ravissent le royaume des cieux ; si on le leur donnait, peut-être en feraient-ils moins de cas. Il n’était pas né coloriste, il l’est

  1. Henri Regnault, sa vie et son œuvre, par M. Henri Cazalis.