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d’elle. On voudrait évoquer Phidias pour lui montrer cette belle enfant, il l’avouerait pour sa petite-fille.

Ce qu’elle a surtout d’admirable, c’est qu’elle est vraiment jeune. À la grâce, elle joint la candeur, la modestie, l’ingénuité, le parfait naturel. Tout entière à ce qu’elle fait, elle ne soupçonne point qu’on la regarde ni qu’elle soit faite pour être regardée. On la destinait à figurer à titre d’accessoire dans un monument qui n’a point été élevé pour elle, car elle offre des couronnes, elle n’en reçoit point ; mais il se trouve que l’accessoire est devenu le principal, et qu’elle attire et retient tous les regards. Elle ne s’en doute pas, elle ne s’en doutera jamais. Elle se recueille d’ans le sentiment qui la possède, elle ne voit que son héros, celui qu’elle veut honorer ; il y a de la piété dans son admiration et dans son deuil. Sa figure exprime l’émotion, une émotion contenue, qui ne sait pas faire de phrases, qui à peine sait trouver des mots ; mais son geste, son regard valent les plus belles pièces d’éloquence, elle y a mis tout son cœur. Elle n’est pas née d’hier, elle a connu déjà les grandes infortunes. À l’heure où ses oreilles s’ouvraient à tous les bruits de la vie, une tempête grondait au ciel ; elle a senti la terre trembler sous ses pieds ; elle a invoqué des dieux sourds qui ne lui ont point répondu. Pourtant elle a gardé la foi et l’espérance ; elle croit parce qu’elle aime. Elle semble dire avec le sage : — Le moi est un dur maître, et on s’affranchit en apprenant à aimer autre chose que soi. — Nous lisons dans une notice autographiée sur le nouveau monument, que désormais le passant pourra venir dans la cour du Mûrier pour y rêver aux horreurs de la guerre. Il y viendra chercher aussi la plus charmante personnification de la jeunesse. Puisse-t-il apprendre d’elle à rester jeune ou à le redevenir !

Nous ne craignons pas de nous tromper en affirmant qu’il s’élève aujourd’hui en France une jeunesse dont l’élite promet d’être vraiment jeune. Les douloureux événemens dont elle a été témoin l’ont mûrie de bonne heure ; mais elle a vu son pays se relever aussi rapidement qu’il était tombé, et elle nourrit une foi profonde dans son avenir. M. de Marcère prononçait l’autre jour à Domfront un discours dans lequel il marquait en traits fins et précis le caractère des générations nouvelles, qui nous donneront « des hommes à l’esprit libre, étrangers au parti-pris, condition indispensable pour choisir une ligne de conduite et la suivre avec rectitude. » La nouvelle génération est revenue de beaucoup de choses, elle se défie des grandes phrases et des grands mots, des paquets tout faits, des enthousiasmes creux, des vieilles formules, des vieilles passions et des vieilles cocardes. Est-il nécessaire d’être dupe pour être jeune ? La vraie jeunesse a pour signe distinctif la liberté de l’esprit ; elle ouvre son intelligence à toutes les vérités, même à celles qui sont désagréables ou que les poltrons jugent dangereuses, et elle