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hygiénique et même au point de vue moral, quelques inconvéniens ? Il faudrait avoir vu les choses sur place pour se prononcer à ce sujet. Quoi qu’il en soit, cette organisation compliquée s’explique le plus souvent par l’origine historique de ces établissemens, qui ont été créés moins pour répondre à tel besoin déterminé que pour satisfaire à l’ardeur de quelque âme fervente, ou pour endormir les remords de quelque conscience inquiète. C’est sur la place même où le sang de Frédéric et de Conradin a coulé sous la hache, que la maison de Saint-Éloi a été fondée par leur propre bourreau, par Charles d’Anjou. Plus touchante et moins tragique est l’origine de la Santa Casa dell’ Annunziataî cette maison fut élevée au retour de leur captivité par trois jeunes gens qui, du fond du cachot où ils avaient été jetés, avaient souvent tourné leur pensée et leur espérance vers une madone vénérée des enfans de Naples sous le nom de Madone du mauvais passage, et avaient fait vœu, s’ils étaient rendus à la liberté, de consacrer sous l’invocation de cette madone un asile aux enfans abandonnés. En revanche, le côté vindicatif et romanesque du caractère italien se retrouve dans l’histoire de la belle Maria-Lorenza Lonc qui, flétrie dans tout l’éclat de sa beauté par un mal sans remède, mystérieuse vengeance d’une femme et d’une rivale, obtint (dit la légende) sa guérison après avoir fait vœu de consacrer sa fortune à construire un hôpital pour les pauvres et sa vie à les soigner. Ce fut sous le beau nom de Sainte-Marie-du-Peuple que s’éleva la maison où Maria-Lorenza devait passer le reste de son existence, assistée de deux amies qu’elle avait associées à son œuvre pieuse et qui portaient par hasard le même nom. Le peuple de Naples a longtemps vénéré le souvenir des trois Maries, et l’on raconte même que Maria-Lorenza étant descendue la première au tombeau, ses bras s’entrouvrirent bien des années après sa mort pour recevoir dans son cercueil celle des deux autres Maries qu’elle avait le plus aimée.

Ainsi l’histoire des établissemens religieux de Naples est étroitement liée à l’histoire de l’Italie elle-même et fait passer devant nos yeux, dans un cadre plus étroit, cette vie de crime et de foi, de passion et de poésie, dont a vécu pendant toute la durée du moyen âge et de la renaissance la patrie du Dante et de César Borgia. Ajoutons que cette histoire se mêle aussi à l’histoire des arts en Italie, et que, si ses plus grands artistes se sont complu à orner de leurs œuvres les chapelles et les réfectoires des établissemens pieux de Naples, ceux-ci ont de leur côté payé une partie de leur dette de reconnaissance en offrant un asile à l’enfance déshéritée de celui que la duchesse Ravaschieri appelle avec raison « le grand Pergolèse. »

En écrivant cette histoire, dont je crains de ne faire comprendre qu’imparfaitement le puissant intérêt, la duchesse Ravaschieri n’a pas entendu seulement entreprendre une œuvre de curiosité et