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brochures présentent tous ces scandales comme autant de spécimens des vertus républicaines. Le ton des journaux est monté au même diapason. Le Times de New-York a traité en propres termes M. Tilden de voleur et de concussionnaire, et a prétendu qu’il ne s’était tourné contre Tweed que faute d’avoir pu s’entendre avec lui sur le partage des dépouilles de New-York. Demain peut-être quelque journal démocratique imputera-t-il à M. Hayes une friponnerie ou un assassinat. De part et d’autre on fait assaut de violences et de calomnies, et le lendemain de l’élection personne ne se souviendra des infamies qu’il aura avancées la veille.

Quelle sera l’issue de cette lutte, où les deux partis se croient tout permis pour triompher ? C’est ce qu’il est encore impossible de prévoir. On a pu voir que les républicains avaient fait bon marché de leurs chefs et de leur passé pour se montrer des réformateurs aussi déterminés que leurs adversaires. De leur côté, les démocrates, après avoir voulu ménager les préjugés de l’ouest, se sont prononcés catégoriquement en faveur de la circulation métallique. Les deux programmes sont devenus à peu près identiques : la lutte ne porte plus sur les principes, mais sur les personnes. Si aucun incident imprévu ne se produit, elle tournera probablement au profit des démocrates. Les scandales qui ont été mis au jour dans la dernière session et qui ont été couronnés par l’acquittement de Belknap, ont produit un écœurement universel. La masse des électeurs indépendans, qui ne se laissent pas embrigader et s’abstiennent de prendre part aux luttes locales, se portera sur les candidats démocratiques en se disant que le plus sûr moyen d’arriver à une réforme est de retirer le pouvoir aux hommes qui en ont fait mauvais usage et d’essayer d’hommes nouveaux ; mais la question de moralité et de probité administrative s’effacerait aisément devant la question d’humanité. Si les auteurs du massacre de Hamburg, si les hommes qui, sans provocation et sans motif, ont tué des nègres inoffensifs, échappaient au châtiment, si des faits de même nature venaient à se renouveler pendant la période électorale, si enfin, pour employer les termes perfides dont le général Grant s’est servi, il était démontré que le droit qui tient le plus au cœur des hommes du sud est celui de fusiller impunément les nègres, alors une irritation profonde éclaterait dans tous les états du nord et de l’ouest, on s’écrierait, d’une voix unanime, que le moment n’est pas encore venu d’enlever aux malheureux affranchis la protection du parti républicain et la tutelle de l’administration fédérale ; l’élection de M. Hayes serait assurée, parce qu’elle semblerait l’unique moyen de prévenir l’effusion du sang innocent, et de sauver l’honneur de la nation américaine.


CUCHEVAL-CLARIGNY.