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incessante production de l’Amérique la place dans des conditions différentes de l’état restreint et gêné de l’industrie japonaise, et que le système financier d’un peuple aventureux et libre ne convient pas à une nation timide et nouvelle aux transactions, entravée par mille règlemens. Du journaliste rappelle à ce propos avec quelque malice l’aventure du tailleur chargé par le roi de Laputa de faire un habit à Gulliver ; il vint prendre l’altitude du héros au moyen d’un sextant et d’un compas, et après en avoir dressé la topographie, tailla un habit qui n’allait pas, faute d’un zéro dans son calcul. On s’était proposé d’attirer les capitaux dans un vaste réservoir d’où ils pussent être déversés sur le commerce, ainsi que cela se passe en France, en Angleterre, en Amérique ; mais les banques nationales dans ces pays ne sont que les régulateurs du crédit et du prix de l’argent ; elles ne créent pas le numéraire là où il manque ; ce sont des bassins de partage des richesses, non des sources, et leur rôle se réduit à rien, leurs opérations sont même factices et dangereuses quand il leur manque la matière première : c’est dans une pareille question, plus qu’en tome autre, qu’il est périlleux de vouloir forcer la nature des choses, et, pour revenir à Dan Swift, de tailler des pantalons tout faits ; la faillite du grand banquier Ono l’a trop bien prouvé. La gêne que causent dans les transactions, d’une part ce système protecteur, de l’autre l’appauvrissement, se manifeste par une diminution considérable dans le chiffre des affaires, qui était en 1872 de 50,482,973 piastres, et qui est tombé en 1874 à 45,225,266, pour s’abaisser encore en 1875 et 1876. En voyant cette stagnation, qui menace d’être durable, nos négocians se rappellent avec amertume les premiers jours de l’ouverture, le temps des princes merchants, des fortunes rapides, et s’accusent tout bas sans doute de ne pas s’être demandé plus tôt si la poule devait toujours pondre des œufs d’or. Beaucoup se retirent, quelques-uns liquident avec perte ; on a vu des faillites, on en craint d’autres ; une banque assise à la fois sur la Chine et sur le Japon, qui jusqu’en 1873 avait 542,000 piastres de bénéfices annuels pour un capital de 5 millions, annonçait en 1874 à ses actionnaires un bénéfice net réduit à 104,000 piastres et ses actions tombaient misérablement. a La crise est grave, disait un jour quelqu’un. — Non, lui répondit-on, l’époque est arrivée. »

Ainsi, dépourvu de capitaux accumulés, insuffisamment pourvu pour le moment d’instrumens d’échange, le Japon se trouve hors d’état de mettre en valeur les richesses naturelles de son sol. Est-il donc condamné à rester éternellement dans cet état stationnaire ? — Nullement. Le remède est fort simple et saute aux yeux. Ce qui manque, c’est le capital industriel ; puisqu’il n’existe pas dans le