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ne pas surprendre ici sous une forme barbare et païenne le type même de ces associations qui furent si puissantes aux siècles suivans ? La compagnie des vikings de Jomsburg fut en toute réalité un ordre de piraterie dans le même sens que les templiers, les hospitaliers, les chevaliers teutoniques et porte-glaives furent des ordres de chevalerie. On voit par là où il faut chercher le principe et le patron de ces sortes d’institutions qui ne sont pas nées, comme on l’a dit, des croisades, mais qui sont tellement inhérentes à la race germanique qu’on les rencontre sous diverses formes partout où cette race était établie. Nous en montrerons peut-être un curieux exemple dans une de nos prochaines études. Ce que firent réellement les croisades, ce fut de les multiplier, de leur donner vogue et faveur, d’en sanctifier le principe et d’en montrer la force et la portée.

Les chefs étaient à l’avenant de l’institution, des ébauches premières de chevaliers, déjà parfaites pour certains traits, encore informes pour d’autres. Le fondateur de la compagnie avait été un certain Palnatoki, pirate fameux, qui, paraît-il, conserve encore aujourd’hui dans ces régions du Nord l’ombre d’un nom. A l’époque où commence le récit de M. Dasent, le capitaine était un fils du jarl de Scanie, Sigvald, que l’histoire nous présente comme un personnage étonnamment subtil, perfide et rusé. Un autre chef fameux était Bui, fils de Veseti, jarl de Bornholm, soldat dur, avare et rapace, qui pendant ses expéditions était parvenu à remplir d’or deux grands coffres qu’il ne quittait ni jour, ni nuit, et qu’il emportait toujours avec lui lorsqu’on allait en mer. Quand les expéditions se faisaient sur terre, comme ces coffres étaient une charge trop lourde pour qu’un cheval pût les porter, Bui préférait ne pas quitter la forteresse. Ces fameux coffres le suivirent à la fameuse bataille navale contre Hakon-Jarl, souverain de Norvège, où il fut blessé mortellement ; alors les ramassant de ses mains sanglantes et les plaçant sous ses bras, il s’élança dans la mer et s’en alla garder ses trésors pour l’éternité comme un dragon Fafnir des flots. Les rangs de la compagnie étant ouverts à tous les aventuriers valeureux non-seulement de la Scandinavie, mais des pays étrangers, il s’y trouvait un vieux pirate gallois d’extraction princière, Beorn, fils du roi gallois Howell le Bon, qui ruiné par une expédition de vikings, avait demandé la réparation de sa fortune au mal même qui l’avait détruite. Compagnon de Palnatoki, il était père d’armes de son petit-fils, Vagn, jeune guerrier qui est le héros favori de M. Dasent et qui représente, dans son récit, l’éternel jeune premier, indispensable a tout roman. Ces personnages sont historiques, et la conduite que leur prête M. Dasent est conforme à l’histoire. Une courte observation : tout à l’heure nous disions qu’il y avait plus d’une