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deux poignets vigoureux, et d’une voix de tonnerre donna l’ordre de faire force de rames et de se diriger sur Jomsburg.

Hébété par ce coup de perfidie et incertain du sort qui l’attendait à Jomsburg, Sweyn resta quelque temps sans parler ; mais, rassuré par la promesse que Sigvald lui donna qu’il serait toujours, quoique captif, traité comme roi de Danemark, il fit taire son ressentiment et attendit avec une gaîté hypocrite les explications qu’on avait à lui présenter. Il essaya cependant de prendre sa revanche sur Sigvald par une de ces ruses où se révèle l’état moral de cette sombre époque, toute faite de violence et de perfidie. Au souper, Sigvald, qui s’était aperçu que le roi était venu à son vaisseau sans épée, tant sa confiance avait été grande, lui en tendit une richement ornée de pierreries qu’il avait enlevée naguère en Irlande dans le tumulus d’un ancien guerrier. « Eh bien, ceignez-moi de cette épée, Sigvald, » dit Sweyn, et, le capitaine ayant obéi, le roi ajouta tout aussitôt : « Maintenant Sigvald, fils d’Harold, m’a ceint de sa propre épée et m’a rendu hommage en témoignage que je suis le souverain de toute cette bande. »

De toutes les formes de la fourberie il n’y en avait peut-être aucune dont les hommes de cette époque aimassent autant à user que de l’équivoque. Surprendre la bonne foi d’un adversaire, abuser de son inattention, escroquer un serment dont celui qui le prêtait ignorait la portée, escamoter un hommage féodal et engager sa dupe à son insu, c’étaient là les tours de gibecière de la politique d’alors. On connaît le serment que Guillaume le Bâtard fit prêter à Harold sur le drap qui recouvrait les redoutées reliques des saints. Parmi les ruses du genre de celle de Sweyn dont ma mémoire me présente en cet instant le souvenir, il en est une qui faillit avoir des conséquences sérieuses pour notre avenir national, à l’aurore de la dynastie capétienne. Hugues Capet étant allé en Italie trouver Othon II pour rompre l’alliance que Lothaire cherchait à former contre lui, l’empereur, après avoir promis au duc de n’entrer dans aucune coalition qui pût lui nuire, lui fit signe de prendre son épée et de l’en ceindre, ce que Hugues allait faire, moitié par reconnaissance et moitié par inattention, lorsqu’un de ses conseillers, Arnulphe, qui comprit la gravité de cet acte, se saisit de l’épée, et, comme pour épargner une fatigue à son maître, en ceignit le souverain germanique. Cet hommage escamoté constituait Hugues vassal de l’empereur, c’est dire qu’il détruisait dans son principe même la révolution dont le duc était le représentant, puisqu’il aurait rattaché la France à l’empire, au moment même où elle aspirait à s’en séparer absolument et à se créer une destinée indépendante. Il est vrai que la dupe n’était pas toujours victime, car dès qu’elle s’apercevait qu’elle avait été jouée, elle