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des balances d’or. Il avait en lui, dit excellemment Carlyle, une sorte de puséysme scandinave, et ce que nous venons de dire suffit pour expliquer ce mot sans qu’il soit besoin de commentaires. Représentant de la haute église, high-churchman par excellence de la religion d’Odin, telle fut en effet la définition originale que l’on peut donner du jarl Hakon. C’est contre cet homme singulier et profond que les vikings de Jomsburg vinrent se heurter et se briser pour accomplir leur vœu téméraire.

Les vikings partirent de Danemark pleins de confiance, et nul doute qu’ils eussent réussi dans leur entreprise si, remontant lestement la côte de Norvège et n’opérant que les descentes nécessaires au ravitaillement de leur flotte, ils étaient tombés à l’improviste sur Hakon-Jarl. Malheureusement pour leur succès, ils s’arrêtèrent au sac de la ville de Tunsberg, puis s’attardèrent à parcourir la côte en brûlant les fermes et les villages, en sorte qu’ils laissèrent au cri d’alarme des populations le temps d’arriver aux oreilles du jarl qui, n’étant pas seulement un dévot fervent, mais un homme de la plus redoutable activité, eut bientôt pris toutes ses mesures de défense. Sur-le-champ ses messagers portèrent dans tous les districts de la Norvège la flèche de guerre, signe de convocation analogue à cette croix brûlée par le bout et teinte dans le sang d’un chevreau qui appelait les Écossais aux armes. L’arrivée de cette flèche n’était pas un simple appel au patriotisme du peuple, c’était un ordre absolu de marcher, et quiconque n’obéissait pas était brûlé dans sa maison, ou, s’il parvenait à traverser les flammes, pendu à l’arbre le plus voisin ; mais les cas de désobéissance étaient rares parmi ces peuples, que leur vieille religion avait instruits à considérer la lâcheté comme le plus grand des crimes, et on n’avait presque pas souvenir que cette pénalité eût été jamais appliquée. Tous accoururent à son appel, même les proscrits et les gens hors la loi pour crime de bravoure mal employée, et il n’y eut si mince pêcheur qui ne mît sa barque au service du jarl. Aussi Hakon eut-il en peu de temps réuni des forces considérables dans les districts du Nord, où il faisait sa résidence ; il les concentra entièrement dans sa flotte et vint attendre ses ennemis dans la baie d’Hjoring.

Autant qu’il est possible de comprendre les descriptions qui nous sont données, cette baie était double, c’est-à-dire formait comme deux enceintes dont l’une, du côté de la mer, était fermée par une muraille de rochers coupée au centre par une ouverture assez large pour donner passage aux vaisseaux, et dont la seconde s’ouvrait du côté de la terre en forme de fer à cheval. C’est dans cette seconde enceinte que le jarl Hakon s’était comme tapi avec sa flotte par une disposition bien entendue, qui lui ménageait le rivage en cas de désastre, et qui créait aux vikings le désavantage marqué d’un