Page:Revue des Deux Mondes - 1876 - tome 17.djvu/391

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

avec son habit rouge étincelant sous les rayons du soleil couchant, s’enfonçant sous les vagues pour y trouver son long repos. »

La mort d’Olaf, fils de Tryggvi, est le dernier fait mémorable auquel se trouve associée la piraterie scandinave en général et celle de Jomsburg en particulier, et avec elle prend fin naturellement le tableau que nous nous étions proposé de tracer et que nous avons voulu pousser jusque-là, bien que le récit de M. Dasent s’arrêtât après la bataille d’Hjoring. Tout ce qui nous reste à ajouter, c’est que cette mort, après un court interrègne occupé par le fils d’Hakon-Jarl, livra le trône de Norvège au dernier viking notable, c’est-à-dire à saint Olaf, le fils de cet Harald Graenske que la mégère Sigrid avait fait brûler pour se délivrer de ses importunités amoureuses : un viking, sous une forme fort adoucie cependant, et qui se présente à nous plutôt comme un aventurier noble et un royal officier de fortune que comme un pirate du type traditionnel. Ce fut ce viking qui prononça l’arrêt de mort définitif contre la piraterie, et il n’eut aucune peine à le faire exécuter dès qu’il eut achevé l’œuvre de conversion religieuse commencée avec tant de difficultés par Hakon le Bon, et si vigoureusement poussée par le premier Olaf. Une fois délivrés de leur paganisme, tout entier consacré à la force et à la vaillance, et qui les séparait du reste du monde en le leur présentant comme une proie légitime à dépouiller, les hommes du Nord furent saisis et enlacés dans la république chrétienne des peuples européens, et ils restèrent sous le filet bienfaisant que la religion leur avait tendu. La conversion au christianisme impliquait tacitement la renonciation à la piraterie, et ils ne purent échapper à la logique de leur nouvelle situation. Désormais plus d’églises à piller et de peuples à considérer comme ennemis ; ces églises étaient le sanctuaire de leur culte, et ces peuples étaient leurs frères. Politiquement aussi la situation était bien changée. Ce qui avait singulièrement facilité ces invasions qui pendant trois siècles ne cessèrent de partir du Nord, c’était l’état d’anarchie progressive dans laquelle la dissolution de l’empire carlovingien plongea l’Europe ; mais maintenant avec la féodalité commençante les vikings allaient trouver partout des Hakon-Jarl et des batailles d’Hjoring. La piraterie n’avait plus à attendre que des défaites, mince profit pour un métier qui veut être lucratif ; elle disparut donc, non-seulement parce qu’elle ne répondait plus au nouvel ordre social, mais parce qu’il n’y avait plus pour elle avantage à continuer d’être.

Une double question à laquelle il est assez difficile de répondre et que nos historiens n’abordent pas, s’éveille dans notre esprit. Les temps de transition, c’est-à-dire les passages d’un état social