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combinaison étrange, ce qu’on a fait pour prévenir de plus grands changemens, pour détourner ou suspendre le mouvement de fusion représenté par le protectorat piémontais, est précisément ce qui accélère le travail unitaire, ce qui pousse plus précipitamment vers le royaume subalpin les petits états du centre. « L’Autriche, dans le quadrilatère, écrit familièrement d’Azeglio, c’est l’Italie à sa merci au premier jour. L’Italie ne voit que cela ; elle n’a plus qu’un désir, celui de constituer n’importe où et comment un groupe de provinces capable d’opposer une résistance sérieuse à une puissance qui n’a rien perdu de sa force et qui a redoublé de mauvais vouloir. Comment voulez-vous qu’on songe aux traditions historiques ou aux intérêts de clocher ? Sans la paix, ils auraient gardé quelque influence… Dans la position actuelle, on ne songe qu’à créer des forces… — Voilà ce que le bon sens de l’Italie entière a merveilleusement compris. De là cet élan unanime vers la Sardaigne ; de là l’abandon de toutes les traditions égoïstes, de tous les instincts les plus enracinés, les plus chers au municipalisme italien… » Deux choses expliquent cette évolution soudaine : la nécessité nationale d’abord, puis l’influence de la politique piémontaise de dix ans, la propagande du courage, de l’honneur militaire, du patriotisme éprouvé, du régime constitutionnel, de la liberté régulière et bienfaisante. En d’autres termes, qu’on le remarque bien, même dans l’éclipse de l’homme, c’est encore la politique de Cavour qui triomphe et porte ses fruits : lorsqu’elle semble vaincue à Turin, elle se relève, sous d’autres formes à Modène comme à Florence, avec Farini, Ricasoli, qui à leur tour entrent en scène, et si quelque chose peut prouver la maturité d’une révolution, c’est cette fortune de l’Italie trouvant à chaque heure décisive les ouvriers pour l’œuvre du moment.

Rien de plus dramatique et de plus singulier que cet épisode, cette lutte où pendant six mois l’instinct italien est aux prises avec toutes les difficultés intérieures comme avec la diplomatie des plus grandes puissances, dont il finit par avoir raison. Un de ces chefs de l’Italie centrale, Luigi-Carlo Farini, était un médecin romagnol d’origine, Piémontais d’adoption, cœur chaud et dévoué, esprit brillant et instruit, qui avait écrit avec ses souvenirs une Histoire des États romains. Mêlé dans sa jeunesse aux mouvemens libéraux de sa province natale, mais étranger aux sectes, il avait été tour à tour ministre du pape avec l’infortuné Rossi en 1848, puis député et ministre à Turin avec Cavour, dont il partageait toutes les idées, dont il soutenait passionnément la politique. Représentant du roi Victor-Emmanuel à Modène pendant la guerre, il avait le mérite de ne point hésiter un instant. Au premier bruit de la négociation des