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des uns, par les agitations des autres. Le dictateur florentin n’ignorait pas qu’il vivait au milieu de dangers de toute sorte. Il avait compris surtout que la première condition de salut était un ordre intérieur strictement maintenu ; il sentait que tout ce qui ressemblerait à un désordre, tout ce qui tendrait à compliquer la question par des invasions révolutionnaires au delà de la frontière, serait un affaiblissement pour la cause nationale, un prétexte pour les fauteurs de restaurations ou pour les interventions étrangères, — et il ne voulait offrir aucun prétexte. Aussi se montrait-il inflexible contre toute velléité d’agitation ou de division. Mazzini s’était flatté de faire de la Toscane un centre d’opérations dont il serait le chef toujours invisible. Ricasoli lui faisait signifier, non sans une hautaine ironie, que, s’il le prenait, il l’empêcherait de nuire en le mettant « sous clé » dans son château de Brolio, — jusqu’à la constitution définitive de l’Italie. Les républicains étaient sévèrement consignés à la frontière. Guerrazzi lui-même, l’ancien président du ministère démocratique de 1848, ne pénétrait qu’avec peine en Toscane. Le brillant Montanelli, avec ses rêves de royaume d’Étrurie pour le prince Napoléon, n’était toléré que parce qu’on ne le craignait guère. Garibaldi, dont on avait accepté les services, à qui on avait confié le contingent toscan dans la ligue militaire formée pour la défense commune, Garibaldi n’échappait pas plus que les autres à l’autorité du terrible baron. Un moment avec les soldats toscans et des volontaires romagnols il voulait envahir les Marches, l’Ombrie ; s’il l’avait fait, c’était l’intervention immédiate de la France, on le savait à Florence aussi bien qu’à Turin. Ricasoli n’hésitait pas un instant à réprimer les velléités belliqueuses de Garibaldi, à couper court à des fantaisies de dictature militaire qui se manifestaient, et Garibaldi pliait, il se retirait en grondant, mais sans rien tenter, à Caprera. L’obstination de Ricasoli, secondée par des conseils venus de Turin, détournait peut-être un péril mortel.

En un mot, le redoutable Florentin entendait rester maître dans son domaine de l’Arno, qu’il ne voulait ni livrer à une dictature soldatesque, ni laisser envahir par les démagogues, ni même laisser absorber dans une fusion qu’on lui proposait avec Modène, Parme et les légations. Vainement en effet à un certain moment on essayait de l’attirer dans une sorte de ligue politique qui aurait complété la ligue militaire ; vainement Farini et le marquis Pepoli s’efforçaient de lui démontrer l’avantage qu’il y aurait à réaliser une fusion partielle et temporaire, prélude de la réunion définitive au Piémont, — à se présenter devant l’Europe avec l’autorité d’un seul gouvernement, d’une même diplomatie parlant au nom de l’Italie centrale tout entière. Ricasoli déclinait absolument cette combinaison, et il