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ambassade de Constantinople pour prendre en main la nouvelle politique extérieure de la France. D’un autre côté, à Turin, Cavour revenait aux affaires, il remontait sur la scène comme le seul homme capable de tenir tête à toutes les difficultés, de remettre le Piémont et l’Italie en marche. L’empereur changeant de politique à Paris et Cavour ministre à Turin, c’était peut-être le commencement de la fin, et dans tous les cas c’était la période de l’action qui se rouvrait. Ce jour-là M. Guizot, juge illustre des fortunes du temps, pouvait dire : « Deux hommes se partagent en ce moment-ci l’attention de l’Europe, l’empereur Napoléon et M. de Cavour. La partie est engagée, je parie pour M. de Cavour. »


III

La force des événemens ramenait ainsi le premier des Piémontais après le roi, le comte de Cavour, à la direction de ce mouvement italien qu’il avait laissé interrompu au lendemain de Villafranca, qu’il avait cru au moins compromis, et qu’il retrouvait agrandi, fortifié, pénétré en quelque sorte de son esprit. A vrai dire, ces six mois qui venaient de s’écouler n’avaient été perdus ni pour lui ni pour l’Italie ; ils n’avaient fait que mûrir la situation du pays, et préparer pour l’homme un retour plus décisif en le laissant momentanément en dehors de la politique officielle, en lui permettant de réserver sa liberté et la vigueur retrempée de son esprit pour l’heure opportune.

S’il avait emporté dans sa retraite du mois de juillet, dans son voyage en Suisse, un sentiment de déception et d’amertume, il n’avait pas tardé à rentrer en Piémont complètement changé, plein de feu et de confiance. Sa position n’était pas trop facile vis-à-vis d’un ministère à qui les circonstances faisaient une vie laborieuse, qu’il pouvait également embarrasser par ses interventions ou par son abstention. Il ne voulait créer aucun ennui à ce ministère de bonne volonté et de nécessité, et de Pressinge il s’était hâté d’écrire à son ami Castelli : « Saluez Rattazzi, assurez-le de mon concours en tout et pour tout. Je ne ressens de curiosité d’aucune espèce à l’égard des secrets de sa politique. Par choix, je veux plutôt rester tout à fait étranger aux affaires du jour. Toutefois, si Rattazzi jugeait utile un conseil de ma part, je suis toujours prêt à le donner avec franchise… » Et quelques jours après : « Je reprendrai le chemin de Turin pour aller dans un coin donner des conseils, si l’on m’en demande, et me tenir bien tranquille si l’on n’a pas besoin de moi. »

Il ne restait pas moins un personnage embarrassant, et il le sentait lui-même lorsque, quelques semaines plus tard, il écrivait d’une plume libre et légère à Mme de Circourt : « Vous serez peut-être