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a répandu son sang et son or… En présence de ces faits, le ministère ne devait-il pas accéder à la demande de l’empereur, demande faite, — oui, je puis le dire, — non-seulement au nom des intérêts français, mais au nom de l’alliance de la France avec l’Italie ? Pour moi, je tiens à grand honneur d’y avoir consenti, car il le fallait pour consolider l’alliance française qui nous est nécessaire… Le vrai, le seul bénéfice du traité pour nous, c’est la consolidation de l’alliance non pas tant des deux gouvernemens que des deux peuples. Vous donc, qui êtes le peuple italien, ne vous mettez pas en opposition avec les intérêts français. S’il doit y avoir des froissemens, des contestations, laissez-les tomber tous sur le gouvernement. S’il y a quelque chose d’odieux, que ce quelque chose retombe sur nous, j’y consens. Nous aimons la popularité autant que personne, et souvent, mes collègues et moi, nous avons bu à cette coupe enivrante ; mais nous savons l’éloigner de nous quand le devoir l’exige. Nous savions, en signant, quelle impopularité nous attendait, mais nous savions aussi que nous travaillions pour l’Italie, pour cette Italie qui n’est pas le corps sain dont parlait un député… L’Italie, l’Italie a encore de grandes blessures dans son corps. Regardez du côté du Mincio, regardez au-delà de la Toscane, et dites si l’Italie est hors de danger ! » Et en parlant ainsi il entraînait l’assemblée ; il obtenait l’abandon d’un ordre du jour qu’un homme distingué de Vintimille, depuis président de la chambre, M. Biancheri, avait proposé sur une question de frontières, et qu’il retirait à l’appel du président du conseil. Cavour avait le vote de son traité par 229 voix, tandis que 33 voix protestaient et que 23 députés répondaient au signal d’abstention donné par Rattazzi.

Une année auparavant, le marquis Costa de Beauregard, prévoyant cette séparation qui déjà semblait inévitable, s’était écrié en plein parlement Remontais : « Tant que nous serons unis, vous verrez la Savoie au premier rang combattre les ennemis du Piémont… Si nos soldats, un jour, prennent rang dans les fortes armées de la France, comme nous ils seront trop fiers pour exprimer un regret. » Peu après le vote d’annexion, le roi Victor-Emmanuel passait avec émotion la dernière revue de la vieille brigade de Savoie partant pour la France. L’œuvre par laquelle le chef du cabinet piémontais se proposait d’affranchir sa politique était accomplie.

Au milieu de ces préoccupations cependant, avant la réunion du parlement et dans l’intervalle de ces discussions émouvantes, Cavour avait trouvé le temps de visiter quelques-unes des provinces récemment réunies. Il avait accompagné le roi Victor-Emmanuel à Milan, pendant les fêtes de l’hiver, au milieu des ovations de toute sorte. Il avait revu le vieux Manzoni, qui lui rappelait la