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Rouméliote, ami de Kosta (c’était le nom de mon hôte), devait descendre de la montagne le soir même pour venir échanger à Trisonia quelque gibier contre des provisions ; je ne voulus pas manquer cette occasion, et j’obtins de mon hôte qu’il lui proposerait de me conduire au village le moins éloigné. Le Rouméliote arriva avant la nuit, vêtu comme tous les paysans d’un manteau blanc à longs poils, tombant sur la foustanelle et, quand nous l’eûmes persuadé que mon dessein était sérieux, il s’offrit volontiers à me servir de guide. Le lendemain, dès l’aube, nous traversâmes le bras de mer dans une petite barque qui composait à elle seule la flotte de l’île ; j’étais en Roumélie.


II

La côte où je venais d’aborder constitue la limite méridionale de ce qu’on appelait autrefois la Locride épizéphyrienne ou ozole, c’est-à-dire Locride puante. Elle devait, dit-on, ce nom, qui la distinguait des deux Locrides opuntienne et épicnémidienne, aux émanations malsaines que dégageaient ses marais. — Il est difficile d’imaginer, en parcourant les montagnes arides de ce pays, qu’à aucune époque on y ait rencontré des marais, à moins que l’historien ne les place au fond des vastes forêts qui s’étendent vers le Nord, dans la direction du mont Cnémis. Quelques auteurs trouvent l’explication de cette épithète injurieuse dans la légende qui fait jaillir une source infectée de la montagne où furent ensevelis Nessus et les centaures. D’autres enfin pensent simplement que l’habitude de porter pour manteaux des peaux de chèvres non tannées avait seule fait surnommer Ozoles les anciens Locriens. Telles sont à peu près les connaissances que nous transmet l’histoire sur ce malheureux peuple, qui semble avoir été frappé dès son origine de toutes les malédictions. — Alors que les provinces voisines s’élevaient et grandissaient, la Locride ozole demeurait ce qu’elle était il y a plus de deux mille ans, quand une colonie des Épicnémidiens venait de la fonder. Au milieu des révolutions tumultueuses qu’ont soulevées simultanément tous les peuples de la Grèce, les Locriens sont demeurés stationnantes, endormis, insoucians de ce qui faisait l’ambition de leurs rivaux, satisfaits de leur misérable fortune, trop nonchalans pour vouloir jamais rien changer à leur état présent. Le temps ne transforma pas leur nature, et ce serait la source d’une observation intéressante : tout un peuple que nous avons vu s’isoler et demeurer sauvage au milieu des autres, dès son premier établissement, a gardé jusqu’aujourd’hui son caractère original. A côté de lui, les Phocéens avec leur