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bravoure, les Étoliens, par leur humeur belliqueuse et leur esprit de révolte, ont été mêlés à tous les bouleversemens de la Grèce. Nous trouvons l’Etolie surtout[1], toujours ambitieuse, avide, tour à tour indépendante ou sujette, se faisant l’alliée ou l’ennemie des Macédoniens, secondant ou entravant la conquête romaine ; un instant, elle recouvre sa liberté, pour retomber bientôt sous le joug d’Amurah II, qu’elle essaie en vain de secouer en se donnant aux Vénitiens ; et de nos jours deux dates et un grand nom, Missolonghi, tel est le passé de ce glorieux petit pays quand la Locride est demeurée sans histoire. — Insensiblement toutes ces réflexions me donnaient à croire que je remontais ainsi le courant des siècles, et quand je touchai du pied ce rivage que le monde et la civilisation avaient toujours laissé dans l’oubli, je ne songeais pas au pays inconnu, à l’horizon nouveau, il me sembla que j’abordais à quelque terre des temps passés.

Après avoir traversé vers l’ouest une vaste plaine couverte de lauriers roses, nous nous engageâmes au nord, dans les montagnes, par un sentier à peine indiqué sur le sol ; à mesure que nous avancions, le paysage changeait d’aspect : çà et là, quelques vallons profonds, des gorges sombres, se découvraient tout à coup serrés entre les montagnes, tout couverts d’une végétation pressée et vigoureuse que les rayons du soleil avaient épargnée. Ce contraste étrange, au milieu des crêtes les plus arides et les plus desséchées que j’eusse jamais vues, reposait l’œil, et, répété fréquemment, rompait la monotonie de la route et rendait notre voyage moins pénible. Quand la chaleur devint intolérable, nous nous arrêtâmes sous un petit bois de mûriers dont les ombres épaisses couvraient de grandes taches noires un tapis de mousses toujours vertes, près d’une source d’où s’échappait une eau fraîche et vive, qui ne rappelait en rien la légende de Nessus. Une jatte de diavourti que mon guide avait volée en chemin à un petit chevrier fît tout notre repas, le seul supportable, sous ce ciel brûlant qui ne laisse plus à l’homme d’autre désir qu’une soif continuelle.

Après deux heures de repos sous cet abri, nous repartîmes, et le soir nous entrâmes à Maradja ; c’était le village où devait me laisser mon guide. Maradja s’étend sur une montagne plus basse que celles qui bordent le golfe, mais plus sèche et plus brûlée s’il est possible ; une trentaine de maisons disséminées, un peu plus hautes que les maisons de Trisonia et de construction plus variée, laissent pousser entre elles quelques mûriers, chétifs et rabougris au feuillage jauni. Toutes sont construites en pierres prises dans la

  1. M. Bazin, Mémoire sur l’Etolie.