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connaissaient mes deux amis et se rendaient à leur village pour s’y reposer d’une longue battue. La conversation du reste ne fut pas longue, et nous les laissâmes regagner Maradja, où nous les devions rejoindre trois heures après.

Le reste du chemin me parut court et facile ; j’appris, durant le trajet, que ces soldats étaient de ceux qu’on envoie dans les montagnes pour inquiéter ou découvrir les klephtes, mais qu’ils étaient plus redoutés dans les villages, à cause de leurs violences et de leurs vols, que les klephtes eux-mêmes. J’interrogeais encore quand un de mes deux palikares interrompant : — Voici que nous arrivons, dit-il, il faut monter à pic jusqu’au sommet, nous vous attendrons là. Je gravis non sans peine une pente presque droite qui n’offrait, sur un sol de pierres friables comme du sable et coupantes comme du verre, aucun point d’appui ; à mes pieds se déroulait le plus beau spectacle que j’aie jamais contemplé.

Le soleil se couchait, à ma droite, dans la mer Ionienne, derrière les hautes montagnes au pied desquelles s’étend Missolonghi ; — l’horizon, tendu de pourpre éclatante sur le côté de l’Occident, se nuançait de toutes les teintes du prisme combinées à l’infini, depuis le rouge ardent du crépuscule jusqu’au bleu du ciel encore pur au-dessus de nos têtes. Des nuages légers comme des flocons de neige, immobiles dans le lointain, prenaient successivement aux derniers rayons du soleil des tons indécis et variés, changeant d’aspect et pâlissant à mesure que la lumière baissait ; quelques-uns, plus bas et tout roses, semblaient effleurer la surface immense et tranquille de la pleine mer.

En face de moi, à mes pieds d’abord, descendent jusqu’au golfe, les unes au-dessous des autres, comme les degrés d’un escalier gigantesque, les hautes montagnes qui me séparent de la mer. Sur la plus proche, presqu’au sommet, j’aperçois mon village, Maradja, aux maisons noirâtres, à peine distinct au milieu de ses arbres.

Plus bas, c’est le golfe dont je suis, nettement dessinées sur l’azur des flots, les rives capricieuses et pittoresques. Trisonia, coquettement couchée dans sa verdure, se distingue la première, séparée de la côte par un long ruban bleu. — En face encore, de l’autre côté du golfe, Vostizza brille à peine sur la haute falaise ; elle semble de loin adossée aux montagnes et perdue dans les plaines de vignes et d’oliviers qui descendent à ses côtés ; les lits desséchés des deux torrens l’encadrent et rehaussent sa riche végétation. Au-dessus, le Mavrithioti dresse sa cime escarpée, dentelée comme une scie, et sa surface toute noire ferme le tableau. Derrière encore émergent de hauts sommets couverts de neige, des pics inconnus des montagnes les plus élevées du Péloponèse, et que je