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répond, il est vrai, à cette objection en disant que des secours peuvent être également accordés à des mères d’enfans légitimes, dont l’indigence serait constatée ; mais cette réponse est plus théorique que pratique, car le nombre des départemens qui étendent ainsi leur libéralité est bien petit, et le secours beaucoup plus modique et plus difficile à obtenir. Aussi le bon sens populaire ne s’y trompe pas. On a pu transformer l’appellation primitive de secours aux filles-mères en celle de secours temporaires aux enfans nouveau-nés ; mais on ne peut pas empêcher que le fonctionnaire par l’intermédiaire duquel ce secours est délivré, ne soit désigné dans la langue du peuple sous ce nom trivial et énergique : « le père aux bâtards. » Toutefois ce n’est pas dans cette vivacité d’impression première qu’il faut chercher la solution d’une question aussi délicate ; c’est dans les faits, dans les chiffres et dans les résultats que la mesure a produits ; nous n’avons qu’à consulter pour cela l’enquête de 1860.

De cette enquête ressortent deux conclusions qui ne sont pas admises toutes deux par le rapporteur de l’enquête, mais, qui s’affirment à mes yeux avec une égale évidence. La première, c’est que la suppression des tours a augmenté le nombre des infanticides. Je ne crois pas, malgré les dénégations du rapport, qu’on puisse utilement contester ce fait, en présence de l’augmentation progressive des condamnations pour infanticides, qui de 1828 à 1858 se sont élevées de 92 à 224, et aussi de l’augmentation des poursuites pour ce même crime, qui en 1858 se sont élevées à 691 et n’ont été la plupart arrêtées que faute de preuve certaine. Il y a là un de ces chiffres positifs, indiscutables, avec l’impertinence desquels (comme disait Royer-Collard) il faut compter. Il n’est pas admissible de l’expliquer uniquement, ainsi qu’on s’est efforcé de le faire, par l’augmentation du nombre des agens de la police judiciaire, gendarmes, gardes champêtres et douaniers compris. D’ailleurs ce qui paraît concluant, c’est que, depuis la suppression des derniers tours, le nombre des infanticides a cessé d’augmenter, et qu’il est aujourd’hui stationnaire aux environs de deux cents. C’est donc mal à propos s’obstiner que de contester l’influence de la suppression des tours sur l’augmentation progressive des infanticides, et les adversaires des tours feraient mieux de chercher la justification de cette mesure dans la seconde conclusion de l’enquête : la diminution du nombre des abandons par le moyen des secours temporaires.

La théorie des secours temporaires repose tout entière sur ce fait d’expérience, que sur 100 enfans abandonnés, 70 l’ont été avant qu’ils eussent atteint l’âge d’un an, et sur ces 70, 50 alors qu’ils n’avaient pas encore quinze jours. Partant de cette donnée, on a