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brusquement sur lui-même, l’enfant disparaissait, et la mère, après avoir poussé un grand cri, tombait évanouie sur la scène, au milieu de l’émotion du public et des sanglots des femmes, dont quelques-unes connaissaient peut-être ce triste chemin.

Sauf le tour, qui a disparu, ce décor donnerait encore aujourd’hui une idée très exacte de l’ancienne maison des oratoriens qui est devenue l’hospice des Enfans-Assistés. C’est bien cette même muraille basse et longue qui s’élève au numéro 100 de la rue d’Enfer. Quant au tour, il a été remplacé par un bureau d’admission ; c’est là que s’opèrent aujourd’hui les abandons, qui se sont élevés en 1875 à 2,106. Si l’on joint à ce chiffre celui de 42 enfans trouvés et 190 orphelins, on arrive à un total de 2,338 enfans rentrant dans la catégorie proprement dite des enfans assistés qui sont tombés en 1875 à la charge du département de la Seine. Le bureau d’admission[1] est installé dans une petite salle claire et froide où un employé se tient nuit et jour. L’enfant est presque toujours apporté par sa mère. Celle-ci est soumise alors à un interrogatoire minutieux, dont les questions, au nombre de plus de trente, sont imprimées à l’avance. Je me suis imposé l’obligation d’assister à ce douloureux spectacle. Après s’être informé de son domicile, de l’état civil de l’enfant, de son père (question à laquelle il n’est presque jamais répondu d’une façon précise), on lui demande : — Pourquoi voulez-vous abandonner votre enfant ? — À cette question directe, l’une répond avec cynisme : — Parce que je veux continuer à m’amuser. — L’autre pleure et allègue sa misère. Une troisième parlera de la nécessité où elle est de cacher sa faute, excuse souvent peu sincère. Quelle que soit la réponse de la mère, on s’efforce de la détourner de ce parti désespéré. On lui fait connaître qu’elle ne saura jamais où son enfant aura été placé, qu’elle ne pourra obtenir de ses nouvelles que tous les trois mois et savoir seulement s’il est mort ou vivant. On lui demande ensuite si elle sait qu’elle peut obtenir de l’Assistance publique un secours temporaire, à la charge de conserver son enfant, et, dans le cas où elle l’aurait ignoré, si elle est disposée à solliciter ce secours. Lorsqu’elle a résisté à toutes les exhortations et qu’elle a répondu aux autres questions d’une façon qui paraît satisfaisante, la conviction de l’employé chargé de la réception est faite ; l’abandon est inévitable, et l’enquête qui a lieu après la réception de l’enfant n’a pour objet que de s’assurer si la mère a bien son domicile de secours à Paris, et s’il n’y aura pas lieu d’exercer une répétition contre le département

  1. L’hospice des Enfans-Assistés a déjà été décrit par M. Maxime Du Camp dans la Revue du 1er septembre 1870. J’aurai parfois l’occasion de me rencontrer avec lui dans le cours de ces études, et je n’ai pas la prétention d’égaler la précision et la vivacité de ses descriptions.