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phénomènes infiniment petits, jusqu’à ce qu’il apparaisse enfin sous sa forme précise et déterminée, laquelle elle-même à son tour se dissout de la même manière, par une décadence d’états successifs analogues au progrès qui l’a amenée par une succession de mouvemens ascendans. C’est ce que l’école, dans son langage plus précis qu’élégant, appelle la loi d’intégration et de dissolution. L’univers, dans son ensemble aussi bien que dans toutes ses parties, est soumis à cette loi. Bornée d’abord à la physiologie, cette théorie a été étendue peu à peu à la géologie, a l’astronomie, à la zoologie, à l’histoire, à la politique. Partout, au lieu d’apparitions subites, on a vu des progrès insensibles, des développemens lents et continus.

Grâce à ce travail secret et jamais interrompu de la nature, en vertu duquel chaque organisme finit toujours par s’accommoder à son milieu, les partisans de la nouvelle théorie ont cru pouvoir rendre compte des appropriations et adaptations que la philosophie des causes finales avait toujours opposées comme une barrière infranchissable aux entreprises de la philosophie mécanique. « De quelque manière, dit M. Herbert Spencer, que ce principe (la loi d’adaptation et d’intégration) soit formulé, sous quelque forme de langage qu’il soit dissimulé, l’hypothèse qui attribuerait l’évolution organique à quelque aptitude naturelle possédée par l’organisme ou miraculeusement implantée en lui, est antiphilosophique. C’est une de ces explications qui n’expliquent rien, un moyen d’échapper à l’ignorance par un faux semblant de science. La cause assignée n’est pas une vraie cause, c’est-à-dire une cause assimilable à des causes connues : ce n’est pas une cause qui puisse être signalée quelque part comme apte à produire des effets analogues ; c’est une cause qui n’est pas représentable à l’esprit, une de ces conceptions symboliques illégitimes qui ne peuvent être transformées par aucun processus mental en conceptions réelles. En un mot, l’hypothèse d’un pouvoir plastique persistant, inhérent à l’organisme et le poussant à se déployer en formes de plus en plus élevées, est une hypothèse qui n’est pas plus tenable que celle des créations spéciales, dont elle n’est à vrai dire qu’une modification, n’en différant qu’en ce qu’elle transforme un processus fragmenté en processus continu, mais de part et d’autre avec une égale ignorance de sa nature[1]. » M. Herbert Spencer n’abuse-t-il pas de la théorie de l’évolution en l’opposant à la philosophie des causes finales ? C’est notre conviction très arrêtée. Comme le dit fort bien M. Janet, non-seulement l’idée d’évolution n’exclut pas le principe de finalité, mais il semble au contraire qu’elle l’implique naturellement. Évolution n’est autre chose que développement ; or qui dit développement semble bien

  1. Biology, part. III, chap. VIII.