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scientifique, même demi-religieuse, comme le fut plus tard le positivisme, eût pu durer et se faire une place importante dans l’arène politique et philosophique du temps ; mais, en s’adressant presque exclusivement à la sensibilité et à l’enthousiasme, Enfantin conduisait fatalement à une crise qui, une fois passée, laissa chacun les yeux dessillés, peu disposé à reprendre le joug, et cherchant de côté et d’autre à sauver sa personnalité. La plupart trouvèrent moyen de se rendre utiles dans des entreprises diverses. Enfantin seul, réduit à son rôle d’apôtre sans église et de père sans enfans, traîna pendant d’assez longues années un rôle secondaire et stérile qui même n’était pas sans quelque ridicule, châtiment assez juste d’ailleurs de la direction insensée imprimée par lui à une école dont les débuts n’ont pas été sans noblesse, mais dont les derniers momens ont quelque chose d’affligeant. La persécution la tua, parce qu’elle mourait d’elle-même, jetée par son chef dans une voie sans issue.

L’histoire extérieure de la secte saint-simonienne est assez connue ; on la trouve brillamment racontée dans le livre célèbre de M. Louis Reybaud[1]. Un écrivain américain, M. Booth, qui parait avoir entrepris une série d’études sur nos socialistes français, vient aussi de consacrer à cette histoire un volume curieux que nous avons sous les yeux. Notre principal objet est l’analyse et l’étude de la doctrine telle qu’elle a été constituée à partir de 1829. On la trouve principalement exposée dans les leçons de la rue Taranne, sous le titre d’Exposition des doctrines saint-simoniennes. Elle se compléta plus tard par les Enseignemens d’Enfantin. Ce sont là les deux sources, avec le journal le Globe, dont les principaux articles ont été publiés séparément par leurs auteurs. On peut citer particulièrement parmi ces brochures, devenues assez rares : Politique et économie politique, par Enfantin ; Leçons sur l’industrie et la banque, par Emile Péreire ; Politique industrielle et européenne, par Michel Chevalier ; Discours aux élèves de l’École polytechnique, par Abel Transon, etc. Dans toutes ces publications, l’école saint-simonienne présente un corps de doctrines très différentes de celles de Saint-Simon, quoique tirées de ses principes.

Cependant, depuis 1825, époque de la mort de Saint-Simon, jusqu’en 1829, l’école, à peine constituée, ne s’aventura pas beaucoup en dehors des voies frayées par son fondateur. Elle ne se présenta, ainsi que l’avait fait Saint-Simon lui-même, que comme une doctrine industrielle au point de vue pratique, et, au point de vue théorique, comme une branche dissidente de l’économie politique. Cette période intermédiaire et transitoire pendant laquelle le recrutement

  1. Voyez aussi l’ouvrage du savant professeur de Louvain, M. Thonissen et le livre de M. Booth, Saint-Simon and the saint-simonism. New-York 1875.