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des lois et des magistrats du pays. C’est là, répondent les Européens, une thèse insoutenable ; les Japonais sont si peu aptes à administrer la justice aux étrangers qu’ils ne sont même pas en état de concevoir pourquoi c’est impossible. Les lois et à procédure des pays civilisés ont pour objet de garantir aux citoyens des droits qu’on ne soupçonne pas ici ; ce n’est pas après avoir versé son sang et joué le jeu terrible des révolutions pour conserver et consacrer ces droits imprescriptibles que l’Européen ira les abdiquer devant un tribunal japonais. Que l’on consulte d’ailleurs les quelques personnes qui ont eu affaire à la justice locale, quel est leur éternel sujet de plainte ? C’est qu’il est rare d’obtenir justice, que les délais, les moyens dilatoires, les équivoques, les dénis de justice arrêtent les plaideurs à chaque pas, qu’il n’y a ni système fixe de procédure, ni principes invariables de lois. Est-il, par exemple, quelque chose de plus arbitraire que la loi des faillites, qui laisse le règlement des créances et la disposition de l’actif à l’arbitraire du juge ? Rencontre-t-on une loi assez claire, assez complète, assez équitable, des juridictions assez éclairées, assez indépendantes, pour que les puissances européennes puissent leur abandonner la vie et la propriété de leurs sujets ? Repoussés sur ce terrain, les apologistes invoquent l’exemple récent de l’Égypte et demandent du moins des tribunaux mixtes ; mais là encore on leur objecte qu’il n’y a pas d’assimilation possible, que l’Égypte, ouverte depuis trois siècles aux Européens, vivant aujourd’hui de leur vie, engagée dans des transactions journalières avec les étrangers qui l’habitent en grand nombre, n’a obtenu d’ailleurs qu’une faible concession, puisque les cours nouvellement installées contiennent une forte majorité d’Européens. Ce serait là un présent onéreux pour le Japon, et l’état embryonnaire de son système législatif ne lui permet pas d’y prétendre.

L’ouverture ne soulève pas moins de controverses. A l’origine, le motif mis en avant pour restreindre le séjour des étrangers était l’excitation des esprits animés contre les barbares ; le gouvernement se déclarait incapable de garantir la vie et la sécurité des Européens à quelques lieues des ports. Ce serait faire une injure à la population douce et bienveillante du Japon que de prendre au pied de la lettre cet argument. Sans parler d’une expérience personnelle de plusieurs années, fruit de courses dirigées dans tous les sens, il est reconnu que le voyageur étranger trouve partout un accueil plus ou moins aimable, rarement hostile, jamais menaçant. Mais ce jeu cruel que les ronines jouaient en 1859 et 1860 de jeter des têtes européennes entre les ministres résidens et ceux du shogun, les ennemis du gouvernement actuel ne pourraient-ils pas le recommencer contre lui ? Se croit-il assez fort pour l’empêcher ? — Oui, sans doute, et s’il refuse d’ouvrir l’intérieur, c’est par le motif