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Le dernier exemple de cette politique a été donné dans l’affaire de Corée : à la suite d’anciens dissentimens, le Japon se préparait à venger des insultes qu’il avait été chercher et à porter chez ses voisins une croisade civilisatrice, quand on apprit, non sans surprise, à Yokohama, au commencement de mars 1876, que la paix était signée. Le Japon renonce à toute réclamation au sujet du tribut imposé jadis aux Coréens et en fait désormais remise ; la Corée consent à ouvrir ses ports au commerce japonais et reconnaît aux consuls que l’on enverra le droit de juridiction sur leurs nationaux. Il faut féliciter sincèrement le « pays du soleil levant » d’être sorti pacifiquement d’une aventure qui eût pu sans doute être glorieuse, mais qui eût été ruineuse à coup sûr. L’expédition de Formose n’a pas coûté moins de 5 millions de piastres ; celle de Corée en eût coûté bien davantage ; ce sont là des triomphes à la façon de Pyrrhus, dont un état obéré doit se garder. Quiconque excède ses forces les détruit, ou finit comme la grenouille de la fable : voilà ce que disent tout bas quelques Japonais sensés, ce qu’ils se risquent même à insinuer dans les journaux ; ces humbles avis sont goûtés d’hommes d’état qui voudraient les suivre, mais qui ne voient d’autre moyen qu’une guerre en perspective, de sortir d’une situation dont ils ne sont pas les maîtres. C’est dans cette situation intérieure qu’il faut chercher les causes de presque toute la politique japonaise, que nous voudrions essayer de retracer.


II

Quand un nouveau débarqué a passé vingt-quatre heures au Japon et entendu dire que le chef de l’état représente le pouvoir sans l’exercer, il ne tarde pas à demander entre quelles mains se trouve la puissance, où est le gouvernement. À cette question les uns répondent par un ou plusieurs noms propres, jamais par le nom d’une institution, les autres se contentent de secouer la tête pour toute réponse, et le questionneur devine sans peine que la véritable force motrice de tous les ressorts politiques est une force occulte, anonyme et irresponsable, qui agit sous le nom et quelquefois par la bouche du souverain. Mais où prend-elle sa source ? entre quelles mains réside-t-elle ? Quel est son mode d’exercice, quels sont ses élémens de permanence ou d’instabilité ? C’est ce que nul ne peut se flatter de dire à coup sûr.

Il faut ici se défaire de nos idées européennes, de nos façons modernes de juger les pouvoirs politiques. Dans nos habitudes d’esprit, la direction des affaires publiques est un dépôt remis entre certaines mains, par la volonté ou du consentement de la nation ; le jeu des partis qui se la disputent, les moyens dont ils disposent, les