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législation au conseil d’état. Les débats sont secrets dans ces deux corps. En résumé, malgré les paroles pompeuses dont était accompagné le décret de 1875, la réforme se réduisait, on le voit, à une innovation de mots, et elle n’a pas changé sensiblement la situation du cabinet, ni les difficultés qui l’obsèdent.

De ces difficultés, la plus grave est sans contredit la question des pensions accordées aux samuraï, qui grèvent le budget d’une charge énorme et excitent à la fois l’irritation du peuple, qui les paie, et l’hostilité des pensionnaires, qui en redoutent la suppression. L’origine première de ces pensions remonte aux premiers siècles de la féodalité. Quand les dissensions intestines eurent appelé à la vie une classe militaire toujours aux ordres des petits souverains locaux, quelques-uns des paysans tenanciers quittèrent la charrue pour s’adonner uniquement au métier des armes ; ces fidèles reçurent de leurs chefs des revenus annuels payables en riz, qui représentaient le salaire d’un service rendu, ou des terres dont la rente était payable entre leurs mains par les hommes restés attachés à la glèbe. En 1870, lorsque le gouvernement du mikado déposa l’aristocratie, il prit à son compte le service des pensions héréditaires aux samuraï, et s’engagea d’autre part à payer annuellement aux 218 daïmios et à leur postérité le dixième du revenu de leurs possessions antérieures. Ceux-ci se laissèrent pousser par leurs tenanciers à accepter une combinaison qui assurait à ces derniers leurs moyens d’existence, en même temps qu’elle enrichissait les daïmios, désormais déchargés des pensions qu’ils avaient à payer à leurs serviteurs, des frais d’entretien d’une armée, d’une cour, etc. Cependant cette charge retombait de tout son poids sur l’état, dont le budget se trouvait grevé de ce chef de 25 millions de dollars ; il fallut faire un emprunt pour racheter les droits des rentiers ; mais l’amortissement n’a pas donné les résultats qu’on en attendait, et la rente annuelle est encore pour 1876 de 17 millions 500,000 piastres. Le gouvernement est assiégé de pétitions qui demandent l’abandon des revenus par les shizoku et les kazoku (c’est ainsi qu’on désigne les samuraï et les daïmios dans la nouvelle nomenclature) ; il a même fallu interdire les suppliques ; mais le sentiment public ne se manifeste pas moins avec énergie. On accuse les shizoku d’être « une classe inutile et dispendieuse, de vivre dans la paresse et de consumer en débauches ou en futiles dépenses le fruit du travail des heïmin (la classe populaire). » On les adjure de restituer de leur propre mouvement des revenus qu’ils doivent rougir de toucher ; on fait remarquer que beaucoup d’entre eux, quoique pensionnés, sont en même temps revêtus de différentes fonctions, et cumulent leur pension avec leur salaire. Enfin, s’écrie-t-on, « s’ils sont, comme ils le prétendent, de race supérieure, qu’ils le prouvent