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meilleur. » On voit jusqu’où ira le désir de regagner le chemin perdu sur les frères aînés du libéralisme européen. Tandis que règne dans la constitution le principe du droit divin, c’est le droit à l’insurrection qu’on professe dans la presse. Toujours préoccupés d’aller vite, plus que d’aller droit, les Japonais sautent sans transition de Louis XI à Robespierre, comme ils passent des sentiers de piétons aux chemins de fer ; ils se refusent à toute force le temps de grandir, de parcourir les étapes nécessaires sans lesquelles il n’est pas de progrès véritable. Dans leur croissance hâtive, ils rappellent (car c’est toujours à l’enfance que ramène la comparaison) ces collégiens qui répètent gravement à leurs camarades les bribes d’entretien politique entendues cher leur père.

Ce qui frappe au point de vue psychologique dans ces dissertations quotidiennes, c’est une tendance à l’utopie, à ce qu’un maître en fait de précision d’esprit qualifiait d’idéologie ; c’est une propension irrésistible à déplacer les questions pour les grossir, à procéder par axiomes et non par argumens, par principes généraux et théoriques plus que par observations précises ; un génie, en un mot, plus spéculatif que pratique. Dans une polémique engagée entre deux hommes d’état, au sujet de l’établissement d’une chambre des communes, on voit citer Stuart Mill, Frédéric II et M. de Bismarck, mais il n’est pas dit un mot de la condition spéciale du Japon et des avantages ou des inconvéniens qu’y offrirait une semblable institution. La dernière chose que les Japonais consentent à étudier, c’est leur pays, ce sont leurs besoins, leurs aptitudes propres ; il s’agit, à leur avis, non de se connaître, mais de se transformer ; non de ce qu’ils sont, mais de ce qu’ils veulent devenir. Vainement essaie-t-on de leur insinuer que, pour tailler une statue dans un bloc de marbre, il faut au moins s’assurer de sa consistance et de ses dimensions.

Ce n’est pas seulement par ces revendications platoniques que se manifeste l’activité des radicaux frais éclos. Ils abordent avec la même intrépidité des problèmes bien plus pressans, des questions sociales qui pourraient amener de graves discordes. Ils commencent à se demander pourquoi le peuple paie une si large part des produits de son travail au trésor, et, trouvant que c’est pour subvenir à l’entretien d’une aristocratie discréditée, ils discutent les droits de cette caste dispendieuse. Entreprise avec le secours de nos écrivains socialistes, on devine à quelle conclusion mène la discussion : l’opinion publique ou ce qui la remplace se soulève avec véhémence contre ces parasites inutiles. Toute classe privilégiée tombant forcément dans le mépris dès qu’elle cesse de remplir la fonction politique sur laquelle se fondaient ses prérogatives, la