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comprendra que le savant de nos jours se sente quelque orgueil en face du philosophe et du théologien. Où est la vraie beauté, la vraie grandeur, dans le firmament de la Genèse ou dans le ciel de Newton, d’Herschel et de Laplace ? dans le chaos informe des poètes, dans l’impossible néant des théologiens ou dans l’activité universelle et incessamment créatrice des forces atomiques ? Et que toutes ces grandes révélations soient sorties de la lunette de nos astronomes, du creuset de nos chimistes, du microscope et du scalpel de nos physiologistes, des merveilleux instrumens de nos physiciens et surtout des exactes et rigoureuses méthodes de nos savans, n’est-ce pas une leçon de modestie pour les métaphysiciens qui ont compté dans tous les temps sur le génie de la spéculation pour nous révéler et nous expliquer le monde ? Cela nous fait comprendre la confiance exclusive, intolérante même, de la science dans ses procédés et dans ses œuvres. Toujours plus loin et toujours plus haut : nous trouvons la devise vraiment digne de ses grandes destinées. Un philosophe qui sait tout ce que la philosophie doit savoir des faits et des théories scientifiques pour poursuivre son œuvre avec succès, M. Taine, a célébré avec un véritable enthousiasme ces méthodes si simples et ces merveilleux résultats de la science. « Supposez que ce travail de simplification soit fait pour tous les peuples et pour toute l’histoire, pour la psychologie, pour toutes les sciences morales, pour la zoologie, pour la physique, pour la chimie, pour l’astronomie. A l’instant, l’univers, tel que nous le voyons, disparaît. Les faits se sont réduits, les formules les ont remplacés ; le monde s’est simplifié, la science s’est faite. Seules, cinq ou six propositions générales subsistent. Il reste des définitions de l’homme, de l’animal, de la plante, du corps chimique, des lois physiques, du corps astronomique, et il ne reste rien d’autre… Nous osons davantage ; considérant que ces formules sont plusieurs et qu’elles sont des faits comme les autres, nous y apercevons et nous en dégageons par la même méthode que chez les autres le fait primitif et unique d’où elles se déduisent et qui les engendre. Nous découvrons l’unité de l’univers et nous comprenons ce qui l’a produite. Elle ne vient pas d’une chose extérieure, étrangère au monde, ni d’une chose mystérieuse, cachée dans le monde. Elle vient d’un fait général semblable aux autres, loi génératrice d’où les autres se déduisent, de même que de la loi d’attraction dérivent tous les phénomènes de la pesanteur, de même que de la loi des ondulations dérivent tous les phénomènes de la lumière, de même que de l’existence du type dérivent toutes les fonctions de l’animal[1]. »

Une loi suprême, qui relie et embrasse toutes les autres, de telle

  1. Les Philosophes français du dix-neuvième siècle, p. 358 et suiv.