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intransigeant qu’on veut bien le prétendre ; il souffre qu’on l’interprète. Platon faisait dire à Socrate beaucoup de choses auxquelles il n’avait lamais pensé ; que de choses ne peut-on pas faire dire à Mahomet, sans qu’il s’en fâche ! Au commencement de ce siècle, Sélim III, instruit par ses revers, conçut le projet de transformer son armée et de lui donner l’organisation européenne. Il fit publier un écrit destiné à démontrer aux vieux-croyans que la baïonnette et l’artillerie légère n’étaient pas des inventions incompatibles avec la loi sainte. Mal lui en prit : les vieux-croyans le reléguèrent dans le sérail, où il fut étranglé ; mais l’artillerie légère et la baïonnette ont triomphé de cette épreuve et aujourd’hui les Turcs s’en servent avec une incontestable habileté et en parfaite sûreté de conscience. Sauf les Peaux-Rouges et les cannibales au cœur sensible de M. Gladstone, il n’y a point de race absolument improgressive. La Porte a trop souvent violé ses promesses, et ses hatti-schérifs sont demeurés à l’état de lettre morte. Croit-on cependant que le sort des rajahs ne se soit pas amélioré pendant ces dernières années ? Un paysan bulgare disait naguère à un étranger : « Regarde ce grand village ; jadis tout ce qu’il contient était à la merci du premier Turc qui passait sur le chemin ; mais il n’en est plus ainsi. » Et l’assistance s’écriait : Dieu veuille que, par la grâce du sultan, tout ce qui est encore à changer soit changé !

Ceux qui nient qu’il soit possible aux Turcs de réformer leur administration, feront bien de lire les pages intéressantes que M. Kanitz a consacrées à l’œuvre accomplie il y a dix ans en Bulgarie par Midhat-Pacha, quand il était gouverneur de la province du Danube, laquelle s’étendait alors de Viddin jusqu’à Varna, de Sophia jusqu’à Roustouk, et comprenait un territoire deux fois plus, grand que la principauté de Serbie. M. Kanitz, qui avait déjà visité ce pays, eut peine à le reconnaître. Il s’étonnait de voir dans les konaks les rajahs plus humainement traités par les fonctionnaires turcs, et de rencontrer dans les bureaux des employés chrétiens ; il fut frappé aussi du changement qui s’était fait dans les manières et dans les procédés des zaptiés à l’égard du paysan. « Une administration mieux réglée, des écoles, des inspecteurs de l’enseignement primaire pour toutes les confessions, des ingénieurs et des constructeurs appelés de l’étranger, des casernes, des édifices publics, des chemins de fer, des télégraphes, des chemins et des ponts, des caisses de crédit à l’usage de la propriété foncière, des orphelinats, des maisons disciplinaires, des hôtels, des rues pavées et propres, l’éclairage des villes, la destruction du brigandage dans le Balkan et sur toutes les routes ; tout cela, pour ne pas parler du reste, était l’ouvrage d’un homme doué d’une manière peu commune, qui représentait aux yeux de tous les gens clairvoyans la réaction incarnée contre les innombrables abus dont souffraient également les Turcs et les chrétiens. » — « Je ne connais pas personnellement Midhat-Pacha, ajoute M. Kanitz, je ne le