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il n’y a que le choix entre deux politiques. Il y a la politique des entraînemens, des passions, des antipathies systématiques contre la Turquie, des fantaisies ambitieuses. Si par préméditation ou par irréflexion on se laisse entraîner dans cette voie, le résultat est bien clair, c’est à un moment quelconque la guerre inévitable, avec toutes les chances d’un bouleversement universel, sans dénoûment saisissable ; c’est l’Europe livrée au règne de la force, au caprice des partages. Il y a une autre politique moins éclatante, et certainement plus honnête, plus sensée, en même temps que plus utile pour tous ; c’est la politique qui consiste à poursuivre l’œuvre possible, à concilier les intérêts divers ou même opposés, à maintenir l’intégrité de la Turquie, qu’on ne peut détruire sans sacrifier les droits des populations chrétiennes, dont on veut justement garantir la sécurité et relever l’existence. Que la tâche ne soit point facile, qu’elle rencontre des obstacles dans l’incohérence des populations de l’empire turc, dans le gouvernement de Constantinople, peut-être même dans les conseils européens, tout cela est bien évident ; mais enfin on est bien arrivé à créer une condition supportable dans d’autres régions de l’empire turc, à doter la Crète d’une sorte de constitution qui associe les populations de race et de croyance diverses à l’administration de leurs propres intérêts. Ce qu’on a fait pour d’autres provinces, pourquoi ne réussirait-on pas à le faire aujourd’hui pour la Bosnie, l’Herzégovine, la Bulgarie ?

C’est une œuvre de patience, de raison pratique et surtout de bon accord. La plus grosse question est là ; il est évident que tout est livré au hasard, que rien n’est possible sans cet accord plus que jamais nécessaire ; et pourquoi ne l’établirait-on pas pour ramener la paix en Serbie, pour veiller à l’exécution de ces réformes dont le ministère anglais n’a pu qu’indiquer sommairement le caractère, pour assurer enfin la prédominance de la politique de modération et de civilisation sur la politique de division et d’agitation ? L’empereur d’Allemagne se plaisait à dire, il y peu de jours, que la paix lui semblait « dès à présent plus assurée que précédemment. » Lord Derby de son côté vient de témoigner la même confiance, sans rien garantir, il est vrai, mais en affirmant que de tous côtés les dispositions sont favorables, en exprimant la pensée que tout pourra se terminer sans de nouvelles effusions de sang. Toutes les fois qu’il en a trouvé l’occasion depuis quelque temps, M. le maréchal de Mac-Mahon a mis un patriotique empressement à se porter garant des sentimens invariables de la France pour la paix, de son désir ardent de rester tout entière à sa réorganisation intérieure. Hier encore, la Russie renouvelait ses protestations en attestant sa volonté de travailler à une solution pacifique. Certes l’imprévu est toujours réservé, et les incidens qui troublent toutes les combinaisons sont toujours possibles ; mais enfin, en admettant, comme on le doit, la sincérité de tout le monde,