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succédé depuis l’élection de l’assemblée nationale jusqu’aux élections d’où sont sorties les chambres actuelles. L’assemblée de 1871 avait été élue pour faire la paix dont le pays sentait profondément le besoin, et pour substituer à la dictature du gouvernement de la défense nationale un gouvernement qui, sous un titre ou sous un autre, remît la France sur ses pieds et lui permît de reprendre ses forces. De là ce pacte de Bordeaux qui réunit tous les partis dans un commun effort de patriotisme, sous la direction de l’illustre chef dont nul parti, nous ne parlons pas des factions, ne s’avisa de contester la mission d’ordre et de salut. Ce fut un grand et consolant spectacle, dans nos plus cruels jours d’épreuve, au lendemain de nos affreux désastres, que cette véritable trêve de Dieu où la voix de la patrie mutilée et encore saignante de ses plaies se fit seule entendre dans les débats parlementaires, pendant la première année de la présidence de M. Thiers. Cette assemblée, tôt ou tard on lui rendra cette justice, ne montra alors d’autre passion que celle du bien public. Il nous souvient qu’on s’abordait, qu’on se parlait, qu’on se traitait en frères, enfans de la mère commune, non en ennemis enfermés dans leurs camps, se lançant l’injure et le défi, en attendant le moment de la bataille, sans trêve ni merci. Nous aimions d’autant plus cette patrie qu’elle était plus malheureuse. Et nous ne pouvions regarder ces nobles vaincus, plusieurs encore tout sanglans, que le suffrage universel était allé chercher sur le champ de bataille, sans saluer en eux l’image de la France elle-même. Ce n’était pas le bon temps, assurément, de notre vie parlementaire, que celui où nous travaillions sur des ruines, en face de l’étranger campé sur notre territoire ; mais alors du moins nous sentions que tout pouvait se réparer par l’union de tous les cœurs vraiment patriotes.

Cette trêve fut féconde en lois utiles, en décrets nécessaires, en résolutions décisives ; mais elle ne dura pas même jusqu’à la libération du territoire. La paix conclue, la guerre civile terminée, l’ordre partout maintenu, l’administration réorganisée, chaque parti, sous les yeux même de l’étranger, retrouva ses préjugés, ses passions, son égoïsme, dès qu’on vit approcher le moment où le pays réclamerait un gouvernement définitif. M. Thiers eut la sagesse de prévoir et la volonté de prévenir une crise qui pouvait faire retomber la France dans l’anarchie et la dictature, en conviant à faire avec lui le seul gouvernement possible. M. Thiers put se tromper de moment, mais l’événement prouva qu’il avait vu juste dans ce patriotique message, auquel on ne peut reprocher que d’avoir devancé la suprême décision de l’assemblée. Celle-ci, sans être pressée d’arriver au dénoûment de la crise constitutionnelle, n’avait pas cessé, en majorité du moins, de songer à la