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III

Ce retour sur le passé nous a paru nécessaire pour faire comprendre les difficultés de la situation présente. On a vu comment l’assemblée nationale a conduit le pays aux élections sans en avoir préparé le terrain en formant d’avance une majorité de gouvernement. Depuis la trêve de Bordeaux, où l’assemblée nationale entière, sauf de rares et obscures exceptions, s’associa à l’œuvre de réparation et de réorganisation dirigée par M. Thiers, il n’y eut guère que des majorités de coalition, plutôt faites pour renverser que pour édifier. Il ne se forma jamais une de ces majorités où les nuances se confondent pour faire un grand parti de gouvernement. A gauche comme à droite, ce fut toujours sur un mot, sur un nom plutôt que sur un programme, que des partis profondément divisés se réunirent. A gauche, on s’entendait sur le mot de république, sans s’entendre beaucoup sur tout le reste. A droite, on semblait s’entendre sur les mots d’ordre moral et de péril social, sans être le moins du monde d’accord sur toute autre chose. Entre la république de MM. Louis Blanc, Naquet, Marcou et celle de MM. Thiers, Dufaure, Léon Say, Jules Simon, qu’y a-t-il de commun, sinon l’étiquette ? Qu’y a-t-il également de commun sinon le mot, entre la politique conservatrice de MM. d’Audiffret-Pasquier, Bocher, de Broglie, Buffet, et celle de MM. de Franclieu et de Lorgeril, ou bien encore celle de MM. Rouher, Raoul Duval et Gavini ? Et cet imbroglio continue, et le nuage s’épaissit chaque jour davantage, et l’écheveau politique s’embrouille de plus en plus, à mesure que le dénoûment approche. Cette assemblée, à laquelle on ne saurait refuser ni le patriotisme ni l’intelligence, quand on a connu les membres qui la composaient, après avoir erré d’aventure en aventure, d’illusion en illusion, de surprise en surprise, tombe enfin sans programme défini, sans majorité faite, au milieu de la crise électorale dont elle n’a su ni prévoir ni prévenir les suites. Rien de ce qu’elle a fait de bon, d’utile au pays ne lui profite aux élections, parce qu’elle n’a rien su faire à temps et de bonne grâce.

Le problème que l’assemblée nationale n’a pas su résoudre, les chambres actuelles ne l’ont point encore résolu, même avec la majorité qui est sortie des dernières élections. Le suffrage universel a envoyé au palais de Versailles une majorité républicaine et anticléricale, conformément au mot d’ordre qui a parcouru ses rangs, sans se soucier ni des nuances de parti, ni des questions de politique constitutionnelle. Sauf ces deux points, qui font un véritable mandat impératif, il laisse toute liberté à ses élus. C’est donc à leur bon sens et à leur patriotisme qu’il se confie pour qu’ils