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idées, et tout venait échouer contre les répugnances, les préventions, sinon les ambitions personnelles. Est-ce que la conjonction des centres, pour nous servir d’une formule parlementaire, ne devait pas se faire dès le début, sous la présidence de M. Thiers ? est-ce qu’elle ne devait pas se faire plus tard sur la question de connexité entre la prorogation des pouvoirs du maréchal de Mac-Mahon et le vote des lois constitutionnelles ? est-ce qu’elle ne devait pas se faire enfin, après ce vote, sur la base même de la constitution, œuvre dont le centre droit avait assuré le succès par son concours ? Pourtant rien de pareil ne s’est fait, à aucune époque de notre histoire parlementaire des cinq dernières années. Les situations avaient beau changer, les partis maintenaient leur attitude de guerre avec les uns, d’alliance avec les autres.

Nous comprenons fort bien qu’on ne change pas aussi facilement de parti que de programme devant les exigences d’une situation nouvelle. Il est pénible de quitter la main qu’on a si longtemps serrée ; il est peu agréable de prendre celle qu’on a tant de fois repoussée. Heureusement il est rare que les nécessités de la politique imposent un tel sacrifice. Le plus souvent le besoin d’entente entre anciens adversaires, pour arriver à un grand résultat, ne demande autre chose qu’un esprit de conciliation qui admet des alliés sans exclure des amis. Il peut arriver pourtant que le succès d’une politique de salut pour le pays exige une rupture. Le pays avant le parti : c’est la devise de tout membre des assemblées délibérantes qui a le sentiment de sa grave responsabilité. Les chambres anglaises nous offrent de grands et douloureux exemples de ces éclatantes scissions. C’est une réponse à ceux qui pourraient dire qu’avec cette indépendance d’allure et cette liberté de changement il n’y a plus de partis, plus de majorité ni de minorité, partant plus de gouvernement possible. Quand on nous oppose le tableau d’une multitude incohérente et confuse, sorte de poussière parlementaire qui n’arrive jamais à se masser, à se former, à s’organiser en corps fixes et palpables, avons-nous besoin de dire que nous ne voulons rien de pareil ? Nul n’a plus que nous le sentiment de la nécessité de la discipline, de cette grande discipline, s’entend, qui ne permet jamais à la direction d’un parti d’oublier, pour des visées étroites ou personnelles, les vrais intérêts du pays et même du parti. Un nouveau classement des partis, réclamé par la situation présente, n’est point l’anarchie parlementaire ; c’est une nouvelle organisation qui a précisément pour but de faire cesser un état d’équivoque, d’incertitude et d’impuissance qui amènerait inévitablement l’anarchie. Il s’agit moins d’ailleurs de briser les cadres du parti républicain que de les élargir pour y recevoir cette majorité de gouvernement dont le besoin se fait de plus en plus sentir.