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antique, ils en eussent eu un auprès d’eux ; tel est le nuage qui vient assombrir de son voile le tableau du centenaire américain.

Les sociétés fraternelles, maçonniques, en si grand nombre aux États-Unis, ne devaient pas tarder à prendre leur tour dans les démonstrations du centenaire. Soumises à des rites mystérieux, la plupart innocens, le gouvernement fédéral n’a jamais arrêté leur expansion, ni en aucune manière gêné leurs cérémonies. Elles ont toutes des temples magnifiques, et processionnent par les rues comme il leur plaît. Voulez-vous réduire à néant le péril qu’une société secrète peut faire courir à l’état, quelque nombreux qu’en soient les membres ? Laissez-la faire, ne la persécutez point ; les martyrs seuls sont dangereux. A la tête de tous ces francs-maçons se sont distingués les templiers ; par une belle matinée de juin, on les a vus, à Philadelphie, sortir en bon ordre, fiers de leur bel uniforme. Avec le chapeau à claque surmonté de plumes blanches, l’épée au côté, l’habit de drap bleu à boutons d’or, le pantalon à bandes, leurs décorations sur la poitrine, ils étaient superbes et satisfaits d’eux-mêmes comme des préfets en tournée. Ils ont, pendant des heures, arrêté tout parcours dans les rues, même celui des omnibus, puis la pacifique armée a envahi le parc de Fairmount et le champ de l’exposition. Les porte-glaives, les porte-étendards, avaient eu peine à se défaire de leurs insignes. Quelques-uns, comme naguère nos gardes nationaux parisiens, avaient été rejoints par leur famille, et triomphalement, sous un soleil de feu, se promenaient en tenue avec leurs femmes et leurs enfans.

Aux approches du 4 juillet, tout ce mouvement est devenu encore plus tumultueux. Alors sont apparues les milices, entre autres celle de la ville de New-York, le 7e régiment, qui venait parader dans « la ville de l’amour fraternel » pour la grande fête commémorative. Officiers et soldats avaient réellement bonne mine sous la tunique grise, et la portaient vaillamment malgré une chaleur torride. A Philadelphie, la cérémonie principale inscrite au programme de ce grand jour fut éclatante. On y lut à Independence-Hall (l’Hôtel-de-Ville), devant une affluence de monde comme on n’en avait pas vu jusque-là, la déclaration de l’Indépendance sur le manuscrit original. Cette lecture fut faite par le petit-fils du Virginien Henry Lee, qui avait eu l’idée de cet acte, lequel fut écrit comme on sait par Jefferson, et proclamé à l’endroit même où on le relisait après cent ans. Jamais l’enthousiasme américain, si facile à enflammer, n’atteignit de telles limites ; jamais l’âme d’une grande cité ne fut aussi vivement impressionnée. Il y a chez ce peuple, à certains égards si jeune et pour ainsi dire encore enfant, une sorte de patriotisme naïf, que l’on ne retrouve plus chez les vieilles