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nations et que l’on fait bien de tenir en éveil. Sur l’estrade réservée, où le général Grant, ce jour-là d’humeur chagrine, oublia qu’il avait promis de venir, on voyait entre autres invités, l’empereur du Brésil et le prince héritier de Suède. La courtoisie américaine s’était étendue aussi à tout le jury étranger. Sur les arcs de triomphe élevés par les rues et décorés de feuilles et de fleurs, on n’avait pas manqué, dans un élan de juste reconnaissance dont les peuples ne sont pas coutumiers, d’inscrire le nom de Rochambeau et de Lafayette, et de donner la bienvenue au descendant du premier de ces héros, qui faisait partie de la commission française. Le soir avait eu lieu une procession aux flambeaux, à laquelle avaient spontanément pris part des milliers de citoyens. La ville était brillamment illuminée ; tous les cercles, tous les édifices publics, toutes les maisons s’étaient pavoises de plus belle, et partout on avait librement tiré en pleine rue des feux d’artifice, des pétards, voire des coups de revolver, comme c’est l’usage sacramentel pour ce jour-là ; le lendemain il avait fallu soigner plus d’un blessé.

A New-York, on s’était piqué au jeu, et la fête du centenaire avait été encore plus resplendissante qu’à Philadelphie. Plus de 25,000 hommes avaient le soir exécuté une promenade avec des torches, des lanternes transparentes. Les divers ordres maçonniques, les milices, les gardes françaises, les députations allemande, anglaise, écossaise, irlandaise, galloise, scandinave, italienne, espagnole, russe, puis des nègres, des Chinois, des Indiens, tous avec leurs insignes, leurs oriflammes, leur musique, le plus grand nombre avec leurs costumes traditionnels, avaient pris part à cette gigantesque procession, qui s’était faite dans le plus grand calme. Au square Madison, un immense paravent, couvrant la moitié de la façade du New-York Club, et que rendait visible un faisceau de lumière électrique qu’on y projetait, représentait la statue de la Liberté éclairant le monde. C’est l’œuvre dont la France doit gratifier l’Amérique, et que le sculpteur Bartholdi élèvera sur l’île de Bedloe, dans la baie de New-York, comme un phare d’un nouveau genre que verront de loin les vaisseaux et qui surpassera en hauteur l’antique colosse de Rhodes.

Les principales places de la ville le disputaient au square Madison ; mais à l’Union Square, un des centres les plus animés de New-York et qui était naguère le quartier préféré du monde élégant, les illuminations avaient atteint le plus grand éclat. Le défilé, sur chaque point de la cité, n’avait pas duré moins d’une heure et demie. Des pétards, des fusées, des chandelles romaines, un déploiement inouï de flammes de Bengale, de feux électriques au magnésium, des démonstrations de tout genre accompagnaient cette parade