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la barque et la fait pénétrer le 10 août, à 20 lieues d’Astrakan, dans la mer Caspienne, « par 46° 27’ de latitude. » Le vent est favorable, le bateau s’attache à suivre la rive nord. Ne le perdons pas de vue un moment, si nous voulons retrouver sur la carte russe de 1861 le port où, après vingt-deux jours de navigation, il abordera. Assurons-nous d’abord un nouveau point de départ. Le 18 août, nous trouvons la barque, partie le 1er août d’Astrakan, à 74 milles des bouches du Volga, par 46° 54’ de latitude. « Là, dit Jenkinson, est enterré un saint prophète. Tous les mahométans qui passent devant cette pointe s’y arrêtent pour aller faire au saint leurs dévotions. » Avançons toujours : voici d’abord une grande et belle rivière. Jenkinson nous annonce l’apparition du Jaïc : dans ce fleuve, qui prend, suivant lui, naissance au centre de la Sibérie, près de la source de la rivière Kama, dans ce grand cours d’eau qui vient aboutir à la mer Caspienne, après avoir traversé la terre des Nogaïs, il est facile de reconnaître l’Oural. Jenkinson n’en a guère d’ailleurs déplacé l’embouchure.

Sans avoir cessé un seul jour de tenir le rivage en vue, nous nous sommes transportés à 150 milles dans l’est-nord-est d’Astrakan. Pourquoi n’essaierions-nous pas de remonter le Jaïc ? Nous rencontrerions, dès la première journée, la ville de Seratchick[1], capitale des états du moursa Ismaïl. Gardons-nous bien de nous laisser détourner de notre route par ces fantaisies périlleuses ! La capitale du farouche Tartare ne le voit pas souvent abandonner, pour venir la visiter, ses bestiaux ; elle est en revanche le refuge mal famé de tous les pillards du royaume. Ces pillards ont flairé de loin quelque butin. La barque de Jenkinson est mouillée à l’entrée du Jaïc, équipage et passagers se sont naturellement empressés de descendre à terre ; il ne reste à bord avec Jenkinson, couché et fort malade, que cinq Tartares, dont l’un, par bonheur, revient de La Mecque et jouit de tous les privilèges attachés à l’accomplissement du grand pèlerinage. Une autre barque survient ; elle porte trente hommes bien armés. Ces hommes, sans crier gare, sautent à bord du bateau, qu’ils supposent sans défense. L’hadji, — le saint Tartare, — intervient alors ; il se lève, demande aux bandits ce qu’ils veulent et prononce une prière. L’effet est merveilleux : les bandits s’arrêtent et ne cherchent plus qu’à se justifier. « Ils sont, disent-ils, d’honnêtes gentilshommes, bannis de leur pays. N’y a-t-il pas des Russes ou d’autres chrétiens dans ce bateau ? » L’hadji prend le prophète à témoin de la sincérité de ses paroles : « Ses compagnons sont tous de vrais croyans ; il n’y a pas un caphar parmi eux. » Le caphar de

  1. Seratchick (petit palais), dans le gouvernement d’Orenbonrg, était une ville tartare, aujourd’hui détruite. On n’y rencontre plus qu’un poste de cosaques.