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compagnie, non plus de sa mission russe mais de sa mission anglaise. Le 21 il arrivait à Vologda. Il y resta jusqu’à la débâcle. Quand la rivière fut libre, Jenkinson laissa au cours du fleuve le soin de le conduire doucement à Kholmogory, tête de pont et premier comptoir du commerce britannique dans les régions du nord. A Kholmogory, le grand voyageur dut attendre jusqu’aux premiers jours du mois d’août l’arrivée d’un navire qui le transporta sans encombre, — chose assez peu commune encore pour qu’on en fasse mention, — des bouches de la Dvina aux bouches de la Tamise.

Depuis la mort d’Henri VIII, les règnes en Angleterre duraient à peine le temps d’un voyage en Russie. Nous avons vu Chancelor remettre à la reine Marie les lettres destinées à Edouard VI ; Anthony Jenkinson portait en 1560 à Elisabeth la réponse qu’exigeait la royale épître confiée en 1557 au Primerose. Mais cette fois, grâce à Dieu, les règnes éphémères étaient bien passés. Le ciel accordait enfin à la vieille Angleterre une reine de vingt-cinq ans qui allait occuper quarante-cinq ans le trône. L’adversité s’était chargée d’imprégner la jeune et sage princesse de l’esprit dont la majorité du royaume s’était peu à peu imbue. Cet esprit n’était-il qu’un esprit de révolte contre l’église de Rome ? Ne fut-il pas aussi une sourde réaction contre les attentats de la conquête normande ? La fille d’Anne de Boleyn et le peuple échappé au sceptre de Marie s’entendirent dès le premier jour. Ce sont ces ententes mystérieuses et tacites qui rendent à certains règnes la tâche si facile. La rigueur implacable d’Ivan IV, la sécheresse d’âme et la froide cruauté d’Elisabeth, ont pu provoquer de légitimes censures, de justes indignations ; elles n’en ont pas moins laissé dans le cœur de deux puissans peuples une ardente sympathie et une éternelle reconnaissance. Les masses ne donnent pas constamment leur amour aux princes que la philosophie en jugerait le plus dignes ; elles l’accordent souvent à un maître inflexible qui fait à leur image, partage leurs passions et se montre, dans sa force, habile à les servir. Le cœur qui les comprend, le bras qui les élève, sont toujours, au jugement égoïste, et brutal des nations, un cœur et un bras suffisamment équitables.


III

Appelée à succéder à la reine Marie, le 17 novembre 1558, la reine Elisabeth, ne fut pas dès le premier jour libre de manifester ouvertement ses préférences. La cause du catholicisme avait pour elle les Guise et Philippe II, la majeure partie du clergé anglican et une assez grande portion de la noblesse. Il convenait à un règne nouveau de la ménager. Cependant, quand Jenkinson revint à