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breuvage. Obdolokan était de taille moyenne, de physionomie farouche. Il portait de somptueux vêtemens de soie et de draps d’or, tout parsemés de perles et de pierres fines. Sur sa tête reposait un haut bonnet pointu entouré d’une pièce de soie qui devait bien avoir au moins 20 yards de long. Sur le côté gauche se dressait un plumet maintenu dans une petite boite d’or, dont les cloisons d’émail emprisonnaient les plus riches diamans de Golconde. Aux oreilles du souverain se montraient en outre accrochés deux longs pendans d’or à l’extrémité desquels brillaient deux magnifiques rubis. Le sol était garni d’épais tapis de laine. Sur ces tapis, on avait étendu un autre tapis carré brodé d’or et d’argent, qui occupait le centre de la tente. Là deux moelleux coussins servaient de siège et de trône au roi Obdolokan, assis, les jambes croisées, dans l’attitude familière aux divinités indiennes. La noblesse du royaume, également accroupie, entourait le monarque. Jenkinson fut introduit et, sur la main que lui tendit le prince, il appuya, se courbant jusqu’à terre, respectueusement ses lèvres. Obdolokan daigna l’inviter à s’asseoir. Il-était naturel, en cette occasion, de se régler sur l’usage du pays. Jenkinson prit sans hésiter la posture des seigneurs et du prince ; mais l’envoyé d’Elisabeth n’était pas évidemment habitué à débiter ainsi ses harangues. Le roi s’aperçut de son embarras et lui fit apporter un escabeau. L’heure du dîner approchait ; les serviteurs s’occupèrent de mettre le couvert. On étendit les nappes, on apporta les plats ; il y en avait cent quarante ; « je les ai comptés, » affirme Jenkinson. Le repas terminé, on enleva les nappes, on en étendit d’autres et l’on servit sans retard le dessert : 150 plats contenant des fruits et maintes friandises se trouvèrent cette fois alignés à la suite l’un de l’autre. « Ainsi, dit Jenkinson, 290 plats passèrent, durant ce festin, sous nos yeux. A la fin du dîner, le roi me dit : « Sois le bienvenu ! » puis il donna l’ordre de puiser une coupe d’eau à la fontaine, en but une gorgée et m’offrit le reste ; « Avez-vous, me demanda-t-il, d’aussi bonne eau dans votre pays ? » Je répondis de façon à le satisfaire. Il me fit alors diverses questions touchant la religion et la géographie de nos contrées. » Ce qu’Obdolokan tenait surtout à connaître, c’était l’étendue respective des domaines de l’empereur d’Allemagne, du Grand-Turc et de l’empereur de Russie. « De ces trois princes, quel était le plus puissant ? » Qu’il allât à Manguslav, à Sellizuri, à Ourgendj, à Boghar, qu’il relâchât à Derbent, prît terre à Abcharon ou visitât le pays de Shamaki, Jenkinson devait rencontrer la même préoccupation chez tous les Orientaux. Autour de cette question gravitait en effet la politique de la Perse et la politique du désert. Jenkinson nous donne ici la mesure de sa circonspection. Ce marin